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attendent ce peuple, à qui Thémistocle révéla son génie, son empire et sa patrie véritables, en lui conseillant de s’enfermer dans des murailles de bois, ce peuple, qui de nos jours a triomphé des Turcs à l’aide des vaisseaux de Psara et d’Hydra, comme il battit autrefois les Perses avec la flotte de Salamine. En voguant sur la mer de Grèce, chaque coup de rame fait jaillir de la mémoire un vers empreint du charme infini de cette mer ; en la voyant blanchir, on se souvient de la gracieuse expression d’Alcman qui appelle l’écume fleur des vagues. Si le vent s’élève, on murmure avec le chœur des Troyennes captives : « O brises, brises de la mer, où me conduisez-vous ? » Si le vent est tombé, on dit avec Agamemnon : « Les oiseaux et la mer se taisent, les silences des vents tiennent l’onde immobile. » Que de fois j’ai répété ces vers d’Euripide ! Je ne concevais rien d’aussi charmant que d’être surpris par un calme dans le golfe de Corinthe ou sur la mer des alcyons,

La mer des alcyons, si douce aux matelots.


J’ai eu plusieurs fois ce bienheureux contre-temps, et j’étais loin de m’en plaindre ; je ne comprenais rien à l’impatience des autres voyageurs. « Et où voulez-vous arriver ? leur disais-je, que cherchez-vous ? Espérez-vous que vos yeux verront quelque chose de plus ravissant que ce qu’ils voient à cette heure ? » Il m’était agréable d’entendre les mariniers annoncer le calme, qu’ils appellent encore de son doux nom homérique galini, de sentir notre caïque s’arrêter, tandis que le vent qui défaillait laissait tomber la voile désenflée. Dans ce calme des flots, je retrouvais la sérénité qui domine l’art et la poésie des Grecs, car ce n’était point un calme plat. La mer de Grèce n’est jamais unie ainsi qu’une eau morte ; toujours quelque vie y palpite, mais c’est une vie contenue, comme la vie qui anime les produits de l’art hellénique. À ces légères ondulations de la vague presque insensible, on dirait les battemens d’un très jeune sein. La douce haleine qui caresse cette Thétis endormie, c’est la respiration de la muse grecque, le souffle léger qui enfle à peine les chalumeaux de Théocrite, et qu’on sent errer sur toutes les belles œuvres de l’antiquité.

Ce qui est incomparable en Grèce, c’est le ciel et la lumière ; je n’essaierai pas de rendre le charme ineffable de cette lumière de l’Attique ou de l’Ionie ; je ne dirai pas l’azur lacté, le rose vif, le tendre améthyste, dont se colorent le soir les marbres de l’Hymette ou du Pentélique, la pourpre qui embrase les rochers et les flots, l’or transparent dans lequel se noient les îles et les promontoires, le liquide