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argent qui frange les crêtes des montagnes. — Non, Dieu a donné la parole aux hommes pour exprimer les idées et décrire les formes, mais il s’est réservé cette admirable langue des couleurs qui n’a d’écho dans aucun idiome de la terre. Cela est si vrai, que les Grecs, ces grands peintres, n’ont pas essayé de décrire les prodigieux effets de lumière qu’ils avaient sans cesse devant les yeux ; Homère, tout Homère qu’il était, n’a jamais osé peindre un lever ou un coucher de soleil. Il a remplacé par des métaphores charmantes les tableaux détaillés que son pinceau même n’eût pu tracer. Il nous parle des doigts de rose de l’Aurore pour nous distraire et nous faire oublier qu’il ne nous décrit pas l’Aurore.

Ni lui ni aucun Grec n’ont tenté de traduire par la poésie de la parole cette merveilleuse poésie de la lumière. Jamais vous ne verrez chez eux des sommets roses, une mer couleur d’or. Ils n’ont pas cherché à rendre les mille accidens qui diversifient la face de l’Océan, les anneaux mobiles qui s’y enlacent, les réseaux étincelans qui s’y traînent, les méandres lumineux qui s’y déroulent, les courans de feu qui s’y jouent. La prudence du génie antique, toujours attentif à se limiter dans le choix des moyens, toujours en garde contre la tentation d’exprimer l’inexprimable, a fait négliger aux plus grands poètes grecs ces mille caprices de la lumière, ces mille jeux du soleil sur leurs flots. Mais si les accidens particuliers que produit la lumière sur les horizons et les mers de la Grèce ne se retrouvent pas dans les poètes grecs, ce qu’on trouve partout, c’est le sentiment de la nature telle que cette lumière la fait aux regards. L’impression pleine de suavité qu’on éprouve en contemplant ce ciel brillant et doux, ces nuages étincelans, cette mer radieuse, c’est précisément l’impression que produisent un vers d’Homère, un chœur de Sophocle, une olympique de Pindare ; quand on lit cette poésie en présence du ciel dont elle émane, il semble que l’atmosphère transparente qui enveloppe et dessine les objets, la lumière fine et chaude qui les colore, pénètrent jusqu’à votre âme, et qu’elle aussi nage dans une atmosphère sereine, dans une clarté harmonieuse. Bientôt l’impression extérieure et l’émotion interne s’unissent, comme la couleur et le parfum d’une fleur, comme une mélodie et un tableau, comme le battement du cœur et le son d’une voix aimée ; la nature et la poésie se confondent, le ciel et l’âme se touchent, et l’on ressent au plus profond de soi-même l’harmonie de la beauté dans l’œuvre de Dieu et de la beauté dans l’œuvre de l’homme.

Cette lumière merveilleuse de la Grèce embellit tout ; on pourrait