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s’était avancée de deux pas, elle a fait un pas en arrière : voilà ce que les amis de M. Guizot appellent une victoire. Cependant, si les concessions que l’on a faites n’étaient pas dues par la France, si les exigences subies par M. Guizot n’étaient pas plus justes que celles qu’il a repoussées, comment la France pourrait-elle s’applaudir de l’arrangement conclu en son nom ? Exempte des torts qui lui sont reprochés, blessée elle-même dans ses droits et ses intérêts, c’est elle qui s’humilie : est-ce là une situation digne d’elle ?

Pourquoi blâme-t-on M. d’Aubigny ? S’il faut en croire la presse ministérielle, c’est pour avoir emprisonné et mis au secret M. Pritchard. M. d’Aubigny a-t-il commis quelque outrage envers la personne de son prisonnier ? Non. Il l’a traité avec distinction ; on ne lui reproche aucune parole injurieuse, aucun procédé offensant. Son seul tort est d’avoir fait arrêter un missionnaire brouillon, fanatique, un agent anglais surpris en flagrant délit d’insurrection contre les autorités françaises, et de l’avoir détenu pendant cinq ou six jours, jusqu’à l’arrivée du gouverneur, M. Bruat, qui a expulsé M. Pritcbard, et n’est pas désavoué pour ce fait. Il était donc permis d’expulser M. Pritchard ; mais on a eu tort de l’incarcérer provisoirement. L’expulsion du consul intrigant, du prédicateur incendiaire, était juste ; l’emprisonnement seul est blâmable, Étrange distinction ! Les tribus soulevées par l’agent de l’Angleterre étaient en armes, les autorités françaises étaient menacées, le sang de nos soldats avait déjà coulé, il coule encore ! et M. d’Aubigny, en l’absence du gouverneur, qui seul pouvait prononcer l’expulsion, devait laisser M. Pritchard en liberté ! Si M. d’Aubigny eût agi de la sorte, que serait-il arrivé ? Si le gouverneur, à son retour dans l’île de Taïti, eût trouvé l’insurrection victorieuse, nos soldats massacrés, notre établissement détruit ou dans un péril imminent, tout cela grace à l’impunité de M. Pritchard, le commandant d’Aubigny eût passé devant un conseil de guerre. Et on le blâme aujourd’hui pour avoir fait son devoir, pour avoir pris, sous l’empire d’une nécessité évidente, une mesure prompte et vigoureuse qui a épargné le sang de la France !

Mais le gouverneur, dit-on, a blâmé lui-même la conduite de M. d’Aubigny ! Sur quoi ? nous l’ignorons encore, ou du moins nous n’avons aucun renseignement officiel à ce sujet. Ce que nous en savons est puisé dans les journaux anglais. Notre ministère, depuis l’origine des différends sur Taïti, n’a voulu faire au public aucune communication franche et détaillée. Il a refusé d’éclairer l’opinion. Si elle s’égare, c’est en partie la faute de ceux qui auraient dû la diriger dès le début en l’instruisant. Quoi qu’il en soit, si M. d’Aubigny a été désapprouvé par M. Bruat, nous avons peine à croire que ce soit pour le fait seul d’avoir emprisonné M. Pritchard. Est-ce pour l’avoir mis au secret ? Les circonstances critiques où se trouvait le gouvernement provisoire, la violence connue de l’agent anglais, sa complicité patente avec les révoltés, l’attitude menaçante de ces derniers, tout semble avoir justifié cette mesure, qui d’ailleurs n’a rien d’excessif et doit être regardée comme la conséquence même de l’emprisonnement.

En résumé, le blâme infligé à M. d’Aubigny place le ministère dans une