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à toute heure du tambourin des bayadères, du cri des mendians et du chant des faquirs. A partir des dernières cabanes rangées le long de la route, le terrain monte ; on aborde les rampes escarpées. Si l’on redescend chaque montagne après l’avoir franchie, c’est pour en gravir une seconde plus élevée, et atteindre peu à peu les plateaux des Ghautts. La chaîne ainsi nommée s’étend depuis la rivière Tapti jusqu’au cap Comorin. Excepté sur un seul point, où ses derniers versans viennent presque s’abaisser jusque dans les vagues, elle se tient éloignée de la mer à une distance de quarante à soixante-dix milles, montrant aux navigateurs, dans toute son étendue, des cimes abruptes, légèrement dentelées, qui la font ressembler aux montagnes de l’Arabie vers le détroit de Bab-el-Mandeb.

C’est une loi de la nature que les extrémités des continens avancés au milieu des eaux soient soutenues par une ligne de montagnes ; de même que les Andes forment l’arête principale de toute l’Amérique du Sud, ainsi les Ghautts sont avec leurs diverses ramifications, la membrure de la presqu’île indienne. Si elles ne cachent point, comme les Cordillères, des pics neigeux jusque dans les nues, cependant elles présentent, en s’enfonçant dans l’intérieur, des gradins multipliés pareils aux croupes successives par lesquelles on remonte des bords de l’Océan Pacifique aux parties hautes du Chili. Entre les chaînes inférieures, souvent veinées d’un porphyre sombre, dans lequel les artistes hindous taillaient des statues colossales, s’étendent des plaines encaissées qu’on prendrait pour des lacs mis à sec. Des routes anciennes, spacieuses comme des voies romaines, traversent quelques-uns de ces bassins ; quel que palmiers sauvages (borassus flabelli formis), semés par le vent à de rares intervalles, jettent sur la chaussée une ombre peu abondante. D’autres arbres de la même famille, couronnés le plus souvent d’une volée,de vautours noirs, surgissent çà et là, au milieu de ces espaces solitaires, tantôt d’une touffe d’arbustes épineux, tantôt du lit desséché d’un ruisseau. Au pied des monts arrondis à leur base, âpres et brisés à leurs cimes, on vit des fragmens de forêts sous lesquelles s’allonge et se perd la route à l’entrée d’un défilé. Le soir, quelque fumée bleuâtre trahit la présence d’une cabane au fond de ces bois tranquilles ; d’ordinaire, les portions de terrain que ne traverse et n’arrose aucun cours d’eau, que le soleil brûle par la réverbération des rocs voisins, sont impropres à la culture et à peu près inhabités. Cette région, peu éloignée de l’océan, ressemble à ce que serait la rade de Bombay elle-même, si, par suite d’un grand cataclysme, les flots en se retirant laissaient à sec l’intervalle qui sépare les tics. Mais quand on