Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/15

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avance au cœur du pays, les monts, labourés par des torrens impétueux au temps des pluies, présentent de prodigieux ravins, des précipices effrayans et des vallées où la végétation tropicale se développe dans toutes sa splendeur.

A l’époque où nous traversions cette pittoresque contrée, une population de pasteurs et de marchands défilait dans les routes poudreuses ; c’étaient des familles maharatte conduisaient au point d’embarquement le coton que les bateaux transportent de la côte à Bombay. Les récoltes se font bien loin dans l’intérieur, mais plus près de cette dernière ville que de Madras ; arrivés sur le quai de la cité anglaise, les balles de coton, restent entassées près des murailles pendant toute la saison sèche, en plein air, en attendant que des navires les déversent sur les marchés de Londres et de Liverpool, les déposent dans les factoreries de Canton, où elles sont échangées contre le thé et les soieries de la Chine. Les montagnards récoltent aussi des grains de diverses espèces qui servent à la nourriture des animaux, du riz, du blé ; ils achètent, en retour, du sel, du fer et des petits poissons pêchés sur la côte de Malabar, que les Hindous mangent avec leur karry après l’avoir fait sécher au soleil. Ce n’est point sur des chariots que les Mahrattes apportent leurs produits quand ils viennent de loin ; les routes, mal frayées en maints endroits, ne permettraient point à des voitures de rouler commodément : ils se servent de bœufs et de buffles, sur lesquels ils attachent, au moyen de fortes sangles, deux sacs de grain ou deux balles de coton bien équilibrées. Il y a des convois de deux et trois cents animaux ainsi chargés, cheminant des mois entiers par monts et par vaux, et escortés d’une vingtaine de guerriers qui portent le fusil à mèche, la misse d’armes, la pique, le bouclier et le sabre. En tête de la caravane marche le plus beau de ces robustes et patiens quadrupèdes ; le plus souvent c’est un bœuf, car le buffle, affaissé sur ses courtes jambes, qui va les naseaux tendus, cherchant les mares et les ruisseaux, où il aime à se plonger, a des allures trop humbles pour briguer l’honneur du commandement. Le glorieux bœuf auquel est dévolu ce poste brillant devient à la fois général et porte-enseigne ; cette dernière fonction était l’une des quatre grandes dignités à la cour des princes mahrattes. Sur ses cornes droites et hautes flottent de larges pantalons rouges qu’il se garde bien de déchirer aux buissons, sur son cou nerveux est fixé le petit drapeau aux couleurs du maître, signe de ralliement pour le convoi. Des enfilades de ces jolies coquilles blanches (de la famille des porcelaines), nommées dans l’Inde kauri, retombent en guirlandes autour des yeux, sur le front