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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/21

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LES MAHRATTES DE L’OUEST.

et pendant une de ces haltes forcées au toll house, j’eus la curiosité d’examiner en détail les armes d’un Mahratte de distinction : assis gravement près de la barrière, il jetait les yeux sur l’immense étendue de pays déroulée à ses pieds, et que ses pères avaient peut-être possédée jadis ! La pique consistait en un fer très long, tranchant des deux côtés, adapté à une hampe de bois dur ; cette hampe, recouverte d’un cuir noir à clous de cuivre, se terminait par une tige de métal ornée de quelques ciselures. Le bouclier, de forme ronde, était, ainsi que la partie supérieure de la pertuisane, enveloppé dans un étui de cuir à frange ; le disque, d’environ vingt pouces de diamètre, rehaussé de cinq petites bosses en saillie, ne pouvait couvrir que la poitrine et la tête du combattant, pourvu qu’il s’inclinât en levant le bras. La masse ressemblait en tous points à celle de nos anciens chevaliers, et l’effet doit en être terrible dans une lutte corps à corps ; on la porte comme le bouclier, en sautoir, derrière le dos. Le fusil à mèche, aussi long que la carabine grecque, présentait, au lieu de chien, une petite corde de coton finement tressée, qui brûle sans cesse pendant la marche. Enfin la belle lame damassée du sabre, garnie d’une garde très large, reposait dans un fourreau de velours rouge. J’éprouvais une singulière surprise à voir dans les mains d’un homme vivant ces armes d’un autre âge, dont quelques-unes ont été portées par tous les peuples anciens, même par nos aïeux les Gaulois.

On conçoit que les avantages de cette route militaire aient été peu appréciés par les peuples dont elle assure la soumission ; le droit de péage, destiné à en couvrir les frais, excita quelques murmures : les Mahrattes ne connaissaient point encore le turnpike-road des comtés de l’Angleterre ; il fallut bien aller vendre ses récoltes sur la côte et se résigner à trouver le chemin meilleur. Cependant de hardis piétons, trop pauvres ou trop fiers pour accepter cette loi, se lancent à travers les précipices et coupent au plus court sans passer devant le toll house. Au risque de se tuer, le montagnard monte et descend en s’accrochant aux lianes, en suivant le lit des torrens à sec. Pour lui, c’est une joie de se plonger dans les solitudes, de lutter contre les périls, de s’aventurer dans les forêts infréquentées. D’ailleurs aussi il aime à accomplir sur sa route certaines pratiques superstitieuses qui demandent un peu de mystère. Il consacre aux dieux les prémices de l’animal dont il se nourrit, en teignant de sang la pierre sur laquelle il l’immole ; cette pierre est devenue sacrée pour lui ; elle est à ses yeux une divinité qui préside à son voyage. Dans les anfractuosités d’un roc inaccessible, près d’un réservoir naturel formé par un ruisseau qui ne coule plus,