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de Rochas. Pendant cette conversation, un homme descend du balcon et manque d’enfoncer avec son pied le sombrero des voyageurs jusque sur leurs yeux. Il appelle Estienne, et, voyant que c’est Jodelet qui répond, il s’échappe, non sans avoir échangé, à travers l’obscurité, quelques estocades inutiles avec don Juan d’Alvaredo. Est-ce donc l’habitude, à Madrid, de se servir des fenêtres en manière de portes ? dit Jodelet à son maître, tout penaud et tout déconfit, un commence à prendre une mauvaise idée de la vertu d’Isabelle. Pour savoir à quoi s’en tenir, il propose à Jodelet de prendre ses habits et de jouer le rôle de maître dans la maison de don Fernan, déguisement déjà préparé par l’erreur dans l’envoi des portraits. Grace à ce déguisement, don Juan d’Alvaredo apprend que don Luiz, l’homme qu’il a vu descendre du balcon, est le séducteur de Lucrèce et le meurtrier de son frère. Lucrèce, par un hasard romanesque, est venue précisément chercher un asile chez doña Isabelle ; don Luiz répare sa faute et rend l’honneur à celle qu’il a séduite. Don Juan d’Alvaredo épouse Isabelle, qui l’a aimé bien qu’elle le prît pour un domestique, et a su reconnaître I’ame du maître sous les habits du valet. Quant à maître Jodelet, ce qu’il entasse de bévues, ce qu’il commet d’extravagances et de bêtises énormes, monte à un chiffre que nous ne sommes pas en état de calculer. Ce rôle est assurément un des plus naturellement bouffons qui se puisse voir ; il a été fait pour un acteur de beaucoup de talent, nommé Julien Geoffrin, qui prenait au théâtre le nom de Jodelet et a joué tous les Jodelets. Cet acteur fut incorporé par ordre royal dans la troupe de l’hôtel de Bourgogne. Ce fut lui qui joua le personnage de don Japhet d’Arménie, et il contribua fortement au succès des pièces de Scarron.

Ces pièces, que Scarron brochait en trois ou quatre semaines au plus, sont tout-à-fait conduites à l’espagnole, sans nul souci des règles d’Aristote, et notre burlesque y met en pratique le précepte de Lope de Vega, d’enfermer les préceptes sous six clés, quand il s’agit de faire une comédie. La scène est tantôt dans une rue, tantôt dans un jardin, dans une chambre ou sur un balcon ; les duels, les rencontres imprévues, les travestissemens, les substitutions de personnes, les enlèvemens, les masques, les lanternes sourdes et les échelles de soie y sont prodigués. Quelque valet ridicule ou stupide remplit le personnage du gracioso. Le style, précieux et contourné dans les scènes d’amour ou de galanterie, offre en général cette rondeur familière et cette propriété qui est la grande qualité de la manière de Scarron. La plupart de ses comédies sont entremêlées de stances, comme c’était