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la mode alors. Au second acte de Jodelet se trouve une parodie en stances du Cid, qui commence ainsi :

Soyez nettes, mes dents, l’honneur vous le commande.

Mais le chef-d’œuvre de Scarron est à coup sûr le Roman comique, vrai modèle de naturel, de narration et d’originalité. Rien ne ressemble moins à l’illustre Bossa, à la Clélie, à l’Oroondate, au Grand Cyrus et autres fadaises contemporaines. Si quelque chose peut en donner l’idée, ce sont les romans espagnols du genre dit picaresque, parmi lesquels on compte Lazarille de Tormes, Gusman d’Alfarache, el Diablo Cojuelo, et beaucoup d’autres.

L’action du Roman Comique se passe aux environs du Mans, que Scarron avait visitée, et qu’il décrit avec la sûreté et la facilité de touche d’un homme qui peint d’après nature. Les personnages ne sont pas moins finement indiqués que les lieux. Il semble qu’on assiste aux mésaventures de Ragotin, tant le détail est vrai, les gestes sûrs, et la scène nettement indiquée. Les caractères du comédien La Rancune, de l’avocat Ragotin, sont devenus des types. Le Destin, Mlle de l’Estoile et Mlle Lacaverne, vivent dans toutes les mémoires. Il n’est pas jusqu’à la grosse Bouvillon qui n’ait un cachet de réalité, si fermement empreint, qu’il semble qu’on l’ait connue. C’est d’ailleurs une excellente prose, pleine de franchise et d’allure, d’une gaieté irrésistible, très souple et très commode aux familiarités du récit, et, quoique plus portée au comique, ne manquant cependant pas d’une certaine grace tendre et d’une certaine poésie aux endroits amoureux et romanesques de l’Estoile est une figure charmante, une délicieuse personnification de la poésie. Qui de nous d’ailleurs n’a suivi comme le Destin, en imagination du moins, dans les routes effondrées du Mans, quelque Mlle de l’Estoile sur la charrette embourbée des comédiens ? n’est-ce pas l’histoire éternelle de la jeunesse et de ses illusions.

La première partie du Roman Comique est dédiée au coadjuteur, le cardinal de Retz, qui était des amis de Scarron et le venait visiter assez fréquemment, et la seconde à Mme la surintendante, avec qui Mme Scarron était en relation d’amitié, ainsi qu’on le voit par un passage d’une lettre de Scarron au maréchal d’Albret. « Mme Scarron a été à Saint-Mandé voir Mme la surintendante, et je la trouve si férue de tous ses attraits, que j’ai peur qu’il ne s’y mêle quelque chose d’impur ; mais comme elle n’y va que quand ses amis la mènent, faute de carrosse, elle ne peut lui faire la cour aussi souvent qu’elle le souhaite. » Le succès du Roman Comique fut si grand, que La Fontaine ne dédaigna