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leur part. Il faut se borner[1]. — M. Daunou eut, en ses dernières années, de douces satisfactions puisées à l’estime publique et dues aux honneurs littéraires qu’un choix libre lui déférait. Une piqure assez irritante qu’il reçut au sein de l’Académie des sciences morales et politiques, lorsque celle-ci, à sa renaissance, osa lui préférer M. Charles Comte, un écrivain inculte et des plus agrestes, à titre de secrétaire perpétuel (elle s’est bien dédommagée depuis en élisant M. Mignet), — cette blessure fut ensuite fermée et guérie, par le choix que fit de lui en cette même qualité l’Académie des inscriptions (1838). Sa vieillesse vigoureuse sembla reverdir encore ou plutôt revenir à une maturité plus adoucie pour produire des éloges académiques, modèles de précision toujours, mais aussi de grace et d’une bienveillance que les préventions venaient de moins en moins circonscrire et assiéger. On n’a pas oublié ses notices exquises sur Vanderbourg, sur M. Van-Praët, et particulièrement sur M. de Sacy, chef-d’œuvre d’un genre où le ton général est indiqué. En parlant de l’orientaliste vénérable, du janséniste pieux, il lui fallut légèrement entr’ouvrir cet angle habituel de son jugement, et son talent plus souple parut y gagner : quelques accens du cœur s’y mêlèrent. Cet éloge de M. Sacy peut se dire le chant de cygne de M. Daunou.

Dans sa dernière maladie, M. Daunou se montra ce qu’il avait été toute sa vie : au-dessous et au-dedans de celui qu’on aurait jugé faible et trop aisément alarmé, se retrouva l’homme ferme et inébranlable. De misérables, d’odieuses tracasseries d’architecte empoisonnèrent sa fin ; cette persécution à part, qui le mettait hors de lui-même, il supporta ses maux sans se plaindre, interrompit le plus tard qu’il put ses occupations, régla scrupuleusement les dernières affaires littéraires dont il était chargé par l’Institut. Sa conversation avait gardé son caractère de sobriété et de douce malice : « Dans une de mes insomnies, disait-il, je suis arrivé à trouver la seule vraie définition qui convienne à notre gouvernement parlementaire ; c’est un gouvernement dans lequel les députés font et défont les ministres, lesquels font et défont les députés. » Je ne donne, bien entendu, ce mot-là que comme le songe d’un malade. — Quand il vit ses derniers momens approcher, il voulut tout régler sur sa propre dépouille, conformément à ses principes immuables, et sans la moindre concession aux coutumes,

  1. Je renverrai à un excellent article de M. E. de Sacy (Journal des Débats, du 29 novembre 1843) ; les caractères de ce cours y sont parfaitement définis et rendus avec une vivacité qui atteste non— seulement au lecteur d’aujourd’hui, mais un ancien auditeur.