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leur pensée et leur style dans la langue trouvée par Racine pour Agrippine, Acomat et Mithridate. C’est ainsi que Shakspeare, lorsqu’il écrivait cet admirable discours d’Antoine à la plèbe penchée sur le cadavre de César assassiné, se montrait, dans l’art de s’emparer des masses et de les agiter par la parole, digne de donner des leçons à M. O’Connell lui-même. Ce que l’art ne saurait tolérer du moins dans le drame dialogué ou raconté, c’est qu’on l’asservisse, en le rapetissant, à des intérêts passagers. Qui lirait aujourd’hui Shakspeare, s’il eût braqué ses pièces contre le sir Robert Peel de son temps ? Les comédies politiques de Fielding, lors même qu’elles fussent parvenues à renverser Walpole, n’en seraient pas moins de mauvaises comédies, bien justement punies par l’oubli qui les a tuées.

Mais M. d’Israeli se moquerait de moi si j’allais sérieusement demander aux docteurs titrés en ces matières leurs gros codes et leurs épaisses férules pour m’en servir contre Coningsby. Je ferais une impardonnable dépense de temps et de scrupules à examiner si M. d’Israeli a écrit un bon roman. Je sais bien que ce n’est pas ce qu’il a voulu, je sais bien qu’il ne s’agissait pas pour lui de faire un beau livre. Vous eussiez offert à M. d’Israeli pour prix de son œuvre la grande gloire littéraire ou les sceaux de secrétaire d’état, je ne serais pas en peine de dire ce qu’il eût choisi ; il serait désappointé, j’en suis sûr, s’il ne trouvait que la perle glorieuse au bout de son œuvre : le grain de mil o u de blé (c’est-à-dire une des premières places à la droite du speaker de la chambre des communes) ferait bien mieux son affaire. Je n’ai donc pas le droit de montrer plus de susceptibilité que M. d’Israeli lui-même sur la valeur de Coningsby comme roman. La critique ferait une escrime ridicule si elle ne suivait pas ceux qu’elle provoque sur le terrain que leur ambition lui désigne, et si elle ne savait, au besoin, raccourcir sa grande lame d’emprunt à la mesure de leur épée.

Il me suffit de comprendre le motif qui a déterminé M. d’Israeli à choisir la forme qu’il a adoptée pour sa pensée. Son but était tout simple : il s’agissait de faire parler de la jeune Angleterre, d’en faire parler le plus possible, de la mettre à la mode ; il fallait pour cela l’introduire dans le monde, auprès des femmes peut-être (on voit dans Coningsby que les femmes ne sont pas des auxiliaires dédaignés par les adeptes de la jeune génération). Or, supposez qu’en cet endroit, où l’attention est chose si frêle et si facile à effaroucher, M. d’Israeli fût entré avec un gros livre où eussent été compendieusement exposées les doctrines de son école. Il avait bonne chance à disserter en pareil lieu sur la politique financière de sir Robert Peel, sur la nouvelle loi