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des pauvres, sur le tarif des céréales ! On l’eût averti, en s’abstenant de les lire, de garder ces beaux discours pour Westminster ; le plus magnifique succès qu’il eût pu espérer eût été de fournir le prétexte de quelques leading articles sur la situation du parti conservateur au Times ou au Morning Post. Les affaires de la jeune Angleterre eussent été bien avancées ! En se contentant au contraire de glisser ses idées dans l’intrigue et dans le dialogue léger d’un roman de high life, M. d’Israeli avait le privilège de ne toucher aux questions que par la superficie et par les généralités où elles sont accessibles à tous. Il faisait partager à sa cause l’intérêt et la sympathie que les sollicitudes de son imagination préparaient pour ses héros : Il n’avait pas besoin des armes pesantes de l’argument contre les choses qu’il attaque et les hommes qu’il combat. Le bon mot, l’épigramme, la caricature, suffisaient ; que les rieurs fussent de son côté, et la bataille était gagnée. Ajoutez qu’en choisissant ce parti, M. d’Israeli ne sortait pas des habitudes de son esprit, et conservait, dans l’usage des ressources qui lui sont familières, la plénitude de ses avantages.

En effet, M. Benjamin d’Israeli, qui représente à la chambre des communes la jeune Angleterre et le bourg de Shrewsbury, et qui porte un nom déjà honoré dans les lettres anglaises par l’auteur des Curiosités de la littérature, n’en est pas aujourd’hui à son début comme romancier. Précédé par Vivian Grey, Contarini Fleming, the young Duke, Henrietta Temple et Venetia, Coningsby n’est pas le coup d’essai de M. d’Israeli, qui pourtant nous doit encore son coup de maître. On s’aperçoit bien, en parcourant ces ouvrages, que M. d’Israeli n’a pas travaillé pour la postérité (je dirais pour l’Académie si M. d’Israeli était français). J’ignore les motifs qui ont invité M. d’Israeli à les écrire ; à l’exception d’Henrietta Temple, dont la composition est plus soignée, ils portent tous les traces d’une improvisation rapide. On dirait que M. d’Israeli a tout au plus envié pour ses ébauches le succès d’une saison. Il s’est contenté de laisser deviner ce qu’il pourrait faire lorsqu’il voudrait bien aiguillonner son indolence ou contenir sa facilité, et, sauf dans Henrietta Temple, il n’a pas daigné prendre la peine de réaliser complètement l’idée qu’il donnait de son mérite ; — ou plutôt, écrire d’une plume leste et légère, avec l’aisance et la finesse, mais aussi avec l’insouciant laisser-aller d’un homme distingué, d’un honnête homme, comme nous dirions si nous étions du XVIIe siècle, montrer, par le ton dont on en parle, que l’on connaît, que l’on savoure toutes les élégances du high life, et qu’avec une nature assez délicate pour se laisser sincèrement attendrir par les émotions pures et simples, on