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La philosophie, pour M. Jouffroy, se personnifia d’abord dans Cousin. Bien que l’un et l’autre, aux yeux de la multitude, représentent la même école, et que le premier ait été le disciple du second, des différences éclatantes les séparent. La philosophie, pour M. Jouffroy, semble n’être que l’esprit humain s’étudiant lui-même ; pour M. Cousin, le génie de l’humanité étudié dans son histoire.

Cependant l’origine des deux doctrines est commune. Depuis Descartes, la clé de toute science philosophique est la réflexion prise au sens propre et rigoureux, c’est-à-dire la pensée réfléchie sur la pensée ; c’est ce qu’on appelle en langage d’école, le point de vue psychologique, et en psychologie la conscience ou le moi. C’est par ce procédé suivi à la manière des Écossais que M. Royer-Collard, mettant en cause tous les systèmes modernes, pensait leur avoir victorieusement intenté un procès de tendance au scepticisme. Aux hypothèses érigées par quelques-uns en principes, il avait substitué le sens commun, éclairé et légitimé par l’observation rigoureuse des phénomènes de conscience. C’est sur cette base que devait s’élever l’édifice ou modeste ou magnifique de la science. C’est cette première pierre qui devait supporter le Parthénon, soutenir le Capitole, ou rester l’humble borne, appui de la pauvreté souffrante et nue.

M. Jouffroy médita long-temps assis sur la pierre. Son esprit circonspect s’en tint long-temps à un seul point de la philosophie, et c’était le point de départ. M. Cousin avait bien fortement aussi appuyé sur ce premier pas, il est le grand promoteur parmi nous des méthodes psychologiques ; mais enfin, le terrain solide une fois trouvé et mesuré, il y posait le pied et s’élançait dans toutes les voies où marche la raison humaine ; le flambeau de la critique à la main, il éclairait jusqu’aux nuages voisins des cieux. Son jeune émule au contraire paraissait vouloir s’en tenir au premier pas. Jamais il ne croyait avoir consacré trop d’heures et de soins au principe de la psychologie. Il assouplit donc scrupuleusement son esprit à l’observation de lui-même ; il s’enfonça de plus en plus dans cette méditation du moi, sans cependant s’y perdre jamais, et, toujours fidèle à la méthode expérimentale, il poussa la contemplation très loin sans tomber dans l’extase ou dans le mysticisme. C’est un des caractères de l’esprit moderne et occidental que de savoir, en méditant, éviter cet écueil où se sont brisés l’antiquité et l’Orient.

Avec une incomparable patience, M. Jouffroy, pendant de longues années, se contenta de réduire la philosophie à la psychologie, et même à une psychologie plus descriptive encore qu’inductive, et qui