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pour ceux à qui la charité manquait. Deux chevaliers de Risby, l’un nommé William et l’autre Norman, avaient à lui payer chacun vingt shillings de redevance par année. Les ayant cités devant lui : « Quand je n’étais qu’un moine cloîtré, leur dit-il, on m’envoya à Durham pour les affaires de notre église et je m’égarai en route. Je passais par Risby, la nuit était venue ; lord Norman me refusa l’hospitalité, lord William me l’accorda très gracieusement. Les vingt shillings de lord Norman, je les exige. Je prie lord William d’agréer mes remerciemens et de garder les vingt shillings qui me sont dus. » Il y a mille traits de cet espèce dans la petite chronique du moine ; on est surtout frappé, en la lisant, de l’autorité des bourgeois, de leurs prétentions, de leur puissance, et l’on s’étonne de trouver, sous ce règne d’une féodalité belliqueuse et oppressive, tant de germes de liberté et de si vigoureux symptômes de civilisation. Le voyage de Sampson à Rome fournit au chroniqueur des anecdotes qui peignent à merveille la situation, aujourd’hui peu connue, de la métropole catholique au XIIe siècle. « Il n’y avait rien de plus fréquent, dit Jokelyn, que de voir à Rome des cadavres de prêtres mutilés par l’un et l’autre parti. Le pape Octavien et le pape Alexandre avaient tous deux leurs partisans qui ne se ménageaient pas ; mais tous avaient peur des Écossais, qui étaient des hommes farouches et sans pitié. Porteur de lettres du pape Alexandre, je lassai pousser ma barbe, et prit à la main une pique écossaise, et me déguisai entièrement comme un Écossais ayant soin de ne parler que par menaces et avec colère, comme les gens de ce pays. On croyait alors que j’étais un pauvre Écossais revenant de Rome à Canterbury et n’ayant aucune affaire à traiter avec l’un et l’autre pape. Cependant, quelques officiers sortant d’une forteresse soupçonnèrent que je les trompais, m’arrêtèrent, se mirent à visiter mes haillons, mes bas et jusqu’à mes souliers, que je portais sur mon épaule à la façon des Écossais et ne me renvoyèrent que cette fouille terminée. Ils ne furent guère plus avancés. J’avais saisi dans ma valise et caché dans le creux de ma main les lettres d’Alexandre, qui, se trouvant pressées contre une petite cruche dans laquelle j’avais mis du vin, échappèrent à tous les regards, pendant que je brandissais ma cruche, dont j’avalai une bonne gorgée. Graces soient rendues à Dieu et à saint Edmond ! J’échappai sain et sauf. » - Mille pages arrachées à nos romans historiques n’équivaudrai pas à ce détail simple et à cette scène naïve.

L’érudition a donc fait une bonne œuvre en déterrant ce manuscrit, à peu près unique dans son espèce ; les contemporains de Jokelyn aimaient mieux agir qu’analyser, et le détail des actes, de la vie monacale