États-Unis, il n’y a qu’un pas ; au moins cette dernière commence-t-elle à professer avec une logique hautaine le dédain de la philosophie, de la poésie et des arts. Dans un des recueils américains les plus répandus[1], le rédacteur, à propos des romans peu dangereux de Frederika Bremer, écrit six pages contre la fiction en général et le roman en particulier. La vie positive et pratique, dit-il, suffit à l’homme ; l’imagination est un péril, les arts sont un malheur. Que les Américains se rassurent, l’imagination et le raffinement ne sont pas près de les ruiner. Dans un autre article du même recueil, la philosophie est traitée avec le même sans-façon. En définitive, ce sont les plus hautes facultés de l’esprit que l’on frappe d’anathème ; et ce qui nous effraierait, si l’avenir n’était pas le grand réparateur, c’est que la civilisation moderne paraît s’engager tout entière dans cette rainure d’un matérialisme épais, si contraire au progrès de la destinée humaine.
Cette civilisation américaine, née de la prose, bâtie sur la prose, en lutte contre la matière, et n’estimant, quand elle se rend compte d’elle-même, que la matière exploitée au profit du corps, n’en a pas moins ses poètes ; elle en a même une foule, et cela se comprend ; la poésie ne leur coûte rien, ils la fabriquent à leurs momens perdus, comme on s’amuse le dimanche à la paume ou au billard, quand on a passé la semaine sous le joug laborieux d’une industrie casanière. Un M. Rufus William Griswold s’est plu à recueillir en un énorme volume qui en
- ↑ New England’s Magazine.
des années attendries ou orageuses ? Je ne veux reproduire que les premières strophes de cette innocente pièce :
Nom sacré, voix mystérieuse,
Quel magique pouvoir a formé tes accens ?
Quelle chaîne mélodieuse
Captive donc mon cœur, alors que je t’entends ?
Moins douce est la voix solitaire
Du rossignol au fond des bois ;
Moins doux est ce doux nom : ma mère !
Murmuré par l’enfant pour la première fois !
Qu’un doigt léger, qu’un souffle tendre
Fasse gémir l’ivoire ou soupirer le buis,
C’est ton nom que je crois entendre
Dans l’ombre du vallon, dans le calme des nuits.
Sitôt qu’il frappe mon oreille,
L’ombre qui m’entourait s’enfuit ;
Tout mon cœur engourdi s’éveille,
Et le jour qui renaît m’inonde et me sourit, etc.