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celui qui veut la livrer aux docteurs sera renié par elle et ne livrera ne son ombre. Il y a plus : ce n’est pas seulement le poète qui souffre sous cette discipline qu’il accepte ; croit-on que le philosophe y gagne beaucoup ? La belle gloire de mettre en quatrains le catéchisme d’une secte nouvelle qu’il faudra refaire demain ! L’Allemagne a produit dans ces derniers temps des poèmes : philosophiques qui, sans appartenir à aucune école, ont un intérêt vraiment élevé. Je m’assure qu’il y a bien autrement de profondeur dans le Merlin d’Immermann, dans l’Ahasverus de Julius Mosen, que dans les écrits de M. Schefer, précisément parce que ces œuvres ne portent point l’étiquette d’un système. Mais quoi ! on veut être adopté par un parti, et comme on a renoncé à penser librement, on et bien sûr d’être appelé un poète original, un vigoureux et hardi penseur ! Ces misères n’appartiennent pas seulement à l’Allemagne ; elles nous rappellent les nôtres. Et ne devons-nous pas nous défier de ces prétentions philosophiques, nous qui voyons, hélas ! de vives intelligences s’éclipser volontairement au fond de ténébreuses écoles, et des artistes que nous aimions se condamner, pour de vulgaires éloges, à un si dur esclavage !

Si cette tentative de poésie hégélienne a obtenu des éloges qu’elle ne méritait pas, elle a excité aussi des appréhensions qui semblent peu fondées. Il ne faut pas craindre qu’un tel enseignement puisse jamais pénétrer bien avant ; cette poésie froide, terne, sans enthousiasme, peut être curieuse à interroger si l’on y cherche la situation de certains esprits, mais la fortune n’est point pour elle. Tandis que M. de Sallet et M. Léopold Schefer prêchaient en vers le panthéisme hégélien, la poésie évangélique, la poésie piétiste, méthodiste, super naturaliste, toujours féconde, redoublait d’efforts et d’activité. Pour combattre l’influence de ces bréviaires philosophiques, le méthodisme a suscité ses poètes. M. Albert Knapp continue de publier des vers gracieux et purs, animés d’un véritable sentiment chrétien. M. Knapp s’est fait une place modeste et respectée, et ce n’est pas de lui que je parle ; mais autour de lui viennent se grouper chaque jour des phalanges de petits poètes, soutiens du temple ou de l’église. La même résistance qui, dans le domaine des sciences théologiques, a accueilli la Vie de Jésus de M. Strauss, reparaît aujourd’hui dans la poésie contre M. de Sallet et M. Léopold Schefer. Jamais on n’a tant publié de poèmes empruntés aux livres saints. Ce sont les Scènes de la vie de Jésus (Scenen und Bilder aus dem Leben Jesu), par M. Henri Doehring, le Seigneur et son Église (Der Herr und seine Kirche) par Moeller, les poésies de M. Lange, etc.. Le catholicisme est représenté