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toute époque, se sont emparés de sa volonté. Qu’ont-ils fait de ce pouvoir que lui avaient laissé ses ancêtres ? De toutes parts chancelle et s’écroule l’état en décadence ; les années de son règne, il les faut compter comme autant de malheurs. Si parfois il a voulu tenter la fortune des armes, il n’a jamais pu acquérir la moindre gloire ; — partout la honte et la défaite, sur la terre comme sur la mer. Toujours, dans les guerres d’Italie ou de Flandre, on a vu fuir ou s’incliner en signe de détresse le drapeau des douze royaumes ; ce qu’il lui reste de ses domaines est aujourd’hui couvert de ruines et dépeuplé. Et comme si ce n’était point assez des douleurs présentes, son ame s’emplit des terreurs de l’avenir. Face à face avec l’éternité malheureuse, il se demande qui recueillera cet héritage ? Et aussitôt il aperçoit les monarques de l’Europe, dont sa mort prochaine éveille les ambitions, dévorer du regard ses Espagnes ; vous diriez des loups affamés, guettant le passage des troupeaux dans les ravines du Guipuzcoa. Déjà, se repaissant d’odieuses espérances, ils se sont en secret partagé son manteau royal. Est-ce bien de l’Espagne qu’il s’agit, de l’Espagne qui, hier encore, était la terreur de l’Europe ? C’est par lui que s’est évanouie la splendeur du sceptre catholique ; la discorde civile, la guerre étrangère, voilà le seul héritage qu’il laisse en mourant.

Assurément, il faut plaindre cette infortune irrémédiable ; mais, nous le demandons à M. Gil y Zarate lui-même, aujourd’hui qu’il est revenu de son ultrà-romantisme fiévreux, est-ce là une infortune bien dramatique ? Dans son Ruy-Blas, M. Hugo lui-même, qui pourtant a poussé assez loin, ce nous semble, les hardiesses de l’école, n’a point osé donner le spectacle d’une royauté si complètement décrépite. Indigne de la couronne, avilie par sa faute, et que le poète dédaigne de lui remettre au front, le Charles II de M. Hugo est relégué à l’écart, tandis que dans son manteau, ministres, conseillers de Castille, amirantes, se taillent à leur gré de petits pourpoints. Et encore est-il là question d’un roi capable de supporter les fatigues de la chasse et le grand vent qui courbe les forêts de pins des sierras, aux alentours d’Aranjuez ; le Charles II de M. Gil y Zarate ne pourrait pas même tenir l’escopette avec laquelle celui de M. Hugo a tué six loups. Un jour, Charles II, — non pas celui de M. Hugo ou de M. Gil y Zarate, mais le vrai Charles II de l’histoire, — racontant ses maux plus amèrement que de coutume à l’un de ses nombreux confesseurs, le prêtre rebuté lui imposa brusquement silence, et lui dit que, de tous ses péchés envers le ciel, le plus grand, sans aucun doute, était de n’avoir conservé un peu de force que pour se plaindre et gémir. Le