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des moyens dramatiques, c’est dans la richesse et la puissance du style, que réside son incontestable originalité. Il est juste de dire encore que son Inès, aussi intéressante à notre avis que l’Esmeralda ne ressemble pourtant d’aucune façon à l’héroïne de M. Hugo. Ce n’est pas tout, Inès s’est éprise d’un beau page du roi, Florencio, à qui elle s’est promise, et, de son côté, Florencio aime Inès comme on peut aimer à vingt ans. S’il faut dire ici notre opinion tout entière, nous déclarerons nettement qu’à nos yeux le brillant Phébus de Chateaupers pâlit un peu à côté de ce jeune et ardent Florencio, qui souvent nous a rappelé les plus charmans et les plus loyaux cavaliers des comédies de Tirso de Molina et des drames de Calderon.

Repoussé par Inès, Froïlan imagine une vengeance qui eût effrayé Torquemada et tous les grands inquisiteurs habitués à brûler les nouveaux chrétiens par centaines. Froïlan préside à l’exorcisme qui se pratique sur le roi, et, par le prêtre qui dirige cet exorcisme, il fait déclarer que l’auteur du maléfice n’est autre qu’Inès, la plus belle et la plus jeune des filles d’honneur de la reine. Parlons mieux, ce n’est point un vrai prêtre qui exorcise le roi, mais bien un misérable qui, après avoir changé de nom, s’est arrogé du soir au lendemain les droits et les privilèges du sacré ministère ; c’est un barbier des faubourgs de Madrid, et non certes un évêque, qui lui a fait, au haut de la tête, cette large tonsure dont il est si fier. Ce rôle d’imposteur est une monstruosité de plus dans la pièce, et, qui pis est, une monstruosité purement gratuite. Quelle fantaisie a pris à M. Gil y Zarate d’envelopper le clergé séculier dans la même réprobation que les moines ? C’est un prêtre séculier qui se charge d’arracher le roi au pouvoir de Satan. Que M. Gil y Zarate se soit fait, en l’exagérant, l’interprète de la haine que les moines inspirent au peuple, cela n’est guère généreux à une époque où les moines demandent un peu de pain comme l’on sollicite une aumône, et où l’aumône leur est refusée. A toute force pourtant, cela peut se comprendre : cette haine subsiste en dernier résultat. Mais ce clergé séculier si résigné, si honnête, dont on a pu, il est vrai, contester les lumières, les lumières seulement et non les vertus, pourquoi le faire intervenir où il n’a que faire ? Pourquoi le représenter comme le complice de l’inquisition qu’il a de tout temps combattue au nom de l’humanité ?

Froïlan a surpris le secret de l’exorciste ; il le force à dénoncer Inès, lui donnant le choix entre un bûcher ou un riche bénéfice. On peut juger si le faux prêtre hésite à porter contre Inès l’accusation formidable qui tout aussitôt la plonge dans les cachots de l’inquisition. A