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pouvez, autre distraction, méditer à loisir sur l’ingratitude des rois. Enfin, le long de ces rues désertes où l’herbe croît entre les pavés, en face de ces grands hôtels tristement recueillis au fond de leur cour silencieuse, l’ennui revêt bientôt, à votre insu, un caractère de mélancolie qui n’est pas sans charme. Bourges a la poésie du cloître : Poitiers est un tombeau. Si donc, malgré les vœux sincères que j’adresse au ciel pour qu’il vous en garde, quelque génie malfaisant, quelque malencontreux hasard vous arrête en ces sombres murs, ce que vous aurez de mieux à faire, sera de vous hâter d’en sortir. La campagne est à deux pas ; les alentours, sans être pittoresques, ont de rians et frais aspects. Gagnez les bords du Clain. Le Clain est une petite rivière à laquelle la Vienne cède l’honneur d’arroser les prairies du chef-lieu de son département. Le Clain n’en est pour cela ni plus turbulent ni plus fier. Égal en son humeur, modeste en son allure, c’est un honnête ruisseau qui n’a pas l’air de se douter qu’il passe au pied d’une cour royale, d’un évêché et d’une préfecture. Si vous suivez le sentier, en remontant le cours de l’eau, après deux heures de marche, vous découvrirez un vallon dessiné par l’élargissement circulaire des deux collines entre lesquelles le Clain a fait son lit. Imaginez deux amphithéâtres de verdure, élevés en face l’un de l’autre et séparés par la rivière qui les réfléchit tous les deux. Un vieux pont aux arches tapissées de mousses et de capillaires est jeté entre les deux rives. En cet endroit, le Clain, s’élargissant avec les coteaux qui l’encaissent, forme un bassin de belles ondes unies comme un miroir, et qu’on prendrait en effet pour une glace d’une seule pièce, jusqu’au barrage où le cristal se brise et vole en poussière irisée. Cependant, à votre droite, fièrement assis sur le plateau de la colline, le château de La Seiglière, vrai bijou de la renaissance, regarde onduler à ses pieds les ombrages touffus de son parc, tandis qu’à votre gauche, sur la rive opposée, à demi caché par un massif de chênes, le petit castel de Vaubert semble observer d’un air humble et souffrant la superbe attitude de son opulent voisin. Ce coin de terre vous plaira, et si vous vous êtes laissé conter par avance le drame auquel cette vallée paisible a servi de théâtre, peut-être éprouverez-vous, en la visitant, quelque chose de ce charme mystérieux que nous éprouvons à visiter les lieux consacrés par l’histoire ; peut-être chercherez-vous sur ces épais gazons des traces effacées ; peut-être irez-vous à pas lents et rêveurs, évoquant çà et là des ombres et des souvenirs.

Unique héritier d’un nom destiné à finir avec lui, le dernier marquis de La Seiglière vivait royalement dans ses terres, chassant,