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HISTOIRE DE L’ÉCOLE D’ALEXANDRIE.

gitimes espérances ne doivent pas nous fermer les yeux sur les réalités du temps présent. Ne semble-t-il pas que la philosophie européenne, comme la philosophie grecque au temps d’Ammonius et de Plotin, soit en quelque sorte épuisée par sa fécondité, et qu’elle succombe sous le poids de ses propres fruits ? Ne la sentons-nous pas profondément atteinte par les coups que le scepticisme du XVIIIe siècle lui a portés ? Et comme la philosophie ancienne avait eu son demi-scepticisme, conciliable avec les besoins de la vie et une certaine sagesse, dans les Arcésilas et les Cicéron, son scepticisme radical et métaphysique dans les Pyrrhon et les Agrippa, son scepticisme ironique et railleur dans Lucien, ne retrouvons-nous pas dans Bayle, dans David Hume, dans Voltaire, des formes analogues du scepticisme renaissant ? Ne rencontrons-nous pas autour de nous ces brillans et ingénieux académiciens, ces douteurs systématiques et obstinés, et la cohorte pour long-temps nombreuse des enfans dégénérés de l’auteur de Candide ?

Dans cet état d’universelle défaillance, les esprits les plus fermes reculent devant la responsabilité d’une doctrine nouvelle. Autant à d’autres époques l’on cherche la grande originalité, autant elle fait peur aujourd’hui. Même quand ils inventent, nos philosophes mettent leurs nouveautés sous la protection des grands souvenirs. Ammonius et Plotin ne voulaient être que les disciples de Platon, nous ne voulons être que ceux de Descartes.

Si Descartes en effet, si Malebranche et Leibnitz n’ont bâti que de fragiles systèmes que le souffle du temps a emportés sans retour, pourquoi recommencer après eux une carrière où ils se sont égarés et perdus ? Comment ne pas désespérer, après tant de philosophies impuissantes, de la philosophie elle-même ? Mais non, tout n’a pas péri dans le naufrage de ces grands systèmes. La vérité n’est pas à découvrir tout entière ; elle est déjà dans le passé ; il suffit de savoir l’y reconnaître et de la recueillir. C’est sur la foi de ces pensées que nous entreprenons de réconcilier Descartes et Bacon, Leibnitz et Locke, comme autrefois Plotin et Proclus réconciliaient Platon avec Aristote. C’est ainsi que nous sommes plus historiens qu’inventeurs, plus érudits que philosophes, impartiaux, tolérans, conciliateurs, un peu indifférens, en un mot éclectiques.

Si ces traits de ressemblance ne sont point chimériques, n’avons-nous pas, au XIXe siècle, quelques leçons à demander à l’histoire de l’école d’Alexandrie ? Cette généreuse et noble école a entrepris deux grands desseins : s’allier avec l’antique religion contre l’esprit nou-