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aussi peu sévère, on trouverait la Trinité chrétienne dans Numénius et dans Philon.

Le passage de Tertullien, sur lequel on s’appuie sans doute de préférence, est à coup sûr très remarquable ; mais il faut observer qu’en le citant on le traduit, et qu’en le traduisant on l’interprète. Reste à savoir si cette interprétation est légitime. M. Jules Simon prend évidemment pour règle de traduction et d’exégèse, et en quelque sorte pour clé, le symbole de Nicée, ce qui est théologiquement très légitime. La théologie suppose, en effet, a priori que le temps et les hommes ne sont pour rien dans l’organisation des dogmes religieux, et que les conciles se bornent à éclaircir les vérités révélées, sans y ajouter et sans en retrancher jamais rien. De quel droit cependant un philosophe, interprétant un texte de Tertullien où il est dit expressément que les trois personnes sont des degrés de la substance divine et qu’elles diffèrent entre elles par le degré, affirmera-t-il que ce père n’a pas entendu introduire dans la Trinité des différences de degré ? La seule raison qu’on puisse donner, c’est que l’église l’entend de cette façon ; mais que dire à ceux qui ne s’en rapportent pas à l’église ?

Reste enfin un passage de Clément d’Alexandrie. J’avoue qu’il serait piquant, si l’on peut employer ce mot en si grave matière, de se servir des paroles des pères platoniciens d’Alexandrie pour fortifier une thèse qui tend au moins indirectement à nier toute influence de Platon et d’Alexandrie sur la formation du christianisme. Malheureusement pour cette thèse, jadis si accréditée, mais qui est devenue aujourd’hui presque paradoxale, le passage de saint Clément ne contient rien qui puisse distinguer la Trinité chrétienne d’une foule d’autres, ce qui lui ôte toute importance dans ce débat.

Il s’en faut donc infiniment qu’on ait établi que le dogme de la sainte Trinité et la doctrine chrétienne en général étaient constitués et fixés avant la naissance de l’école d’Alexandrie. Ce n’est pas avec quelques textes vagues et indécis, d’une authenticité souvent suspecte, d’un caractère souvent équivoque, qu’on répondra aux innombrables difficultés qui s’élèvent contre une thèse aujourd’hui bien compromise. Nous ne pouvons les indiquer toutes ; mais il est nécessaire d’en esquisser ici quelques-unes, non pas assurément pour résoudre le vaste problème de l’influence d’Alexandrie sur le christianisme, mais pour rétablir au moins la question dans ses termes véritables.

On sait les incroyables efforts qu’ont dû faire les plus savans apologistes et les plus profonds théologiens de l’église pour disculper d’hérésie certains pères des premiers siècles. Or, quels sont ceux que