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M. Jules Simon cite de préférence ? Saint Justin, Athénagore, Origène, Clément d’Alexandrie, Tertullien. Ce sont justement les plus suspects. Pour Tertullien, il est assez reconnu que la forte imagination de cet éloquent et fougueux écrivain s’accordait peu avec la sévérité, la précision, la mesure que demande une exacte théologie. Qui ne sait que le matérialisme peut se placer sous son patronage, et qu’il a fini par donner tête baissée dans les chimères de Montan ? Origène, puissant génie, mais incapable de règle, reste frappé des anathèmes de l’église. Faut-il avoir plus de confiance dans les autres pères platoniciens ? Bossuet lui-même a remarqué que les images dont se sert saint Justin pour décrire la Trinité exagèrent beaucoup trop la distinction des personnes. Qu’on lise l’immense ouvrage du savant jésuite Petau, et l’on verra combien de pères se sont écartés de la foi de Nicée. Comment explique-t-on ces différences ? On dit, et il faut bien qu’on dise, que ces saints personnages parlaient mal, mais qu’ils pensaient bien. Ingénieuse explication, admirable règle de critique ! Qu’on essaie de la transporter dans l’histoire, dans la philosophie, on en verra les suites. Un théologien dont l’Allemagne catholique s’honore, le savant historien d’Athanase, Moehler, s’est jeté dans un système d’exégèse véritablement désespéré. Ne pouvant ramener à l’orthodoxie certains passages rebelles des premiers pères de l’église, il distingue subtilement entre la croyance des pères et les preuves sur lesquelles ils l’établissent. La croyance est pure, mais les preuves ne le sont pas, en ce sens qu’elles conduisent à une croyance toute contraire. Voilà une distinction merveilleuse, et bien respectueuse surtout pour ces pères vénérables, dont il faut dire désormais qu’en croyant à certains dogmes ils ne savaient ce qu’ils croyaient, et qu’en voulant prouver leur foi ils travaillaient à sa ruine !

Ce n’est point ici le lieu d’insister davantage, de chercher le trithéisme dans saint Grégoire de Nysse et dans saint Cyrille d’Alexandrie, l’arianisme dans saint Ignace et dans saint Irénée, en un mot dans les pères les plus autorisés le germe des plus célèbres hérésies ; mais je citerai au moins un grand fait, qui me paraît en cette matière absolument décisif : c’est le fait de l’existence et des progrès extraordinaires de l’arianisme au IVe siècle de l’ère chrétienne[1].

On sait qu’Arius niait le dogme du Verbe incarné, coéternel au Père. C’était nier au fond la divinité de Jésus-Christ, qui descendait au rang d’une créature ; c’était nier le dogme de l’Homme-Dieu, qui

  1. Voyez, dans la Revue des Deux Mondes du 15 juin 1841, un remarquable article sur l’arianisme, par M. Lerminier.