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blessé de votre femme. Laissez-la donc, dans sa ridicule erreur, chanter d’une voix lugubre un dieu mort condamné à un supplice cruel par des juges équitables. »

Apollon, ici, c’est le paganisme, c’est l’école d’Alexandrie, incapables de comprendre que ce dieu crucifié, c’est l’alliance sublime de Dieu et de l’homme, Dieu s’inclinant avec amour vers sa créature, l’homme se relevant de Dieu, le sentiment du divin exalté et contenu, le monde sauvé. Du reste, nous ne pouvons rien voir là de surnaturel. Le triomphe du christianisme n’est point le scandale de la raison ; le christianisme a vaincu, parce qu’il a apporté aux hommes une philosophie sublime, parce qu’il a réussi à fondre ensemble dans une combinaison profonde et durable les élémens de vitalité et de force que possédait alors le genre humain. Il a fallu sans doute, pour accomplir cette fusion, un souffle de vie, un esprit d’en haut. Ce souffle, cet esprit, c’est Dieu même, présent dans l’humanité, qui l’a faite et qui la conserve, et lui fournit sans cesse, tantôt sous une forme et tantôt sous une autre, sous des lois régulières empreintes d’une parfaite sagesse, la part de : vérité qui lui est nécessaire pour subsister et développer ses destinées.

On a dit souvent que, si le christianisme a vaincu Alexandrie, c’est qu’à une époque où le genre humain avait plus besoin de croire que d’examiner, une religion devait nécessairement triompher d’un système de philosophie ; je ne conteste pas que la forme religieuse ne fût alors parfaitement appropriée à l’état du monde ; mais s’il n’avait fallu qu’offrir aux hommes une religion pour les gouverner, Alexandrie avait la sienne ; c’était le paganisme, rajeuni par la philosophie, réformé dans son culte antique par Maximin et Julien. Or, cette tentative de faire revivre le paganisme fut justement la faute des alexandrins et la cause de leur ruine. Ils entreprirent d’être à la fois une philosophie et une église, et de rendre la vie à une religion éteinte. C’était assez d’une de ces deux tentatives pour assurer leur chute. Le paganisme n’existait en quelque sorte plus dès le temps de Xénophane et de Thalès, s’il est vrai qu’une religion ait cessé d’exister du jour où elle ne gouverne plus les intelligences d’élite. Revenir au paganisme, au IIIe siècle de l’ère chrétienne, c’était donc supprimer violemment huit siècles de développement philosophique. Entreprise insensée ! On ne pouvait renouveler le paganisme qu’en altérant, en conservant la lettre et changeant l’esprit ; mais le genre humain repousse l’artifice de ces transformations. Comment s’inclinerait-il devant des symboles qui ne répondent plus à son esprit et à son cœur ? Il était nécessaire d’ailleurs que le sacerdoce se tournât contre les philosophes.