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En effet, comment les prêtres se seraient-ils accommodés de cette manière si libre d’interpréter les symboles, qui conduisait au fond à identifier tous les cultes. On sait que les Alexandrins se faisaient initier à tous les mystères ; que Proclus se proclamait l’hiérophante de tout l’univers. Haïs, accusés par le sacerdoce, mal compris du peuple, contraints à respecter en apparence ce qu’au fond ils dédaignaient, privés de toute la puissance que donne une conviction sincère et droite, de cette mâle énergie que détruisent toujours les subtilités de l’exégèse et les calculs de la politique, les alexandrins devaient succomber.

Qu’est-ce qui fait la puissance et l’attrait de la philosophie ? qu’est-ce qui en rachète les excès, en compense les doutes, les fatigues et toutes les misères ? C’est qu’elle donne à l’esprit le sentiment de sa liberté, de son indépendance ; la pure, la divine jouissance d’une force qui sent qu’elle se gouverne et se maîtrise elle-même. Qu’est-ce qui fait la vitalité et l’influence d’une religion ? C’est qu’elle offre à l’esprit une règle, à l’ame un appui, à l’imagination un aliment, aux désirs un terme assuré. Voulez-vous être à la fois une école de philosophie et une église ? Comme église, vous perdez toute liberté, toute indépendance, puisqu’une église suppose un symbole fixe, un dogme immuable ; comme école, vous perdez toute règle, toute discipline, puisqu’une école de philosophie suppose une liberté sans limites, le droit absolu de l’individu de contredire ses semblables et de s’inscrire en faux contre tout le genre humain. C’est ainsi qu’en voulant réunir des principes contradictoires vous les neutralisez l’un par l’autre.

C’est l’histoire des alexandrins, et c’est aussi la nôtre. Jetons en effet, en terminant, un coup-d’œil rapide sur la situation de notre époque. Nous rencontrons d’abord un parti très bruyant, très violent, au fond le plus faible de tous, qui se persuade que le moment est bien choisi au XIXe siècle pour dégoûter l’esprit humain de la liberté et de la philosophie, et nous ramener aux croisades et à Grégoire VII. Un autre parti, presque aussi contraire à l’esprit de notre temps, se compose de ces enfans tardifs du XVIIIe siècle, qui ne veulent d’aucune religion positive, et qui disent avec Diderot : « Toutes les religions sont des hérésies de la religion naturelle. »

Ces esprits qui se donnent pour très positifs sont parfaitement chimériques ; car, de toutes les chimères, la plus creuse selon nous c’est la religion naturelle. Qu’entend-on par ce grand mot ? Est-ce un ensemble de croyances communes à tous les hommes ? Qu’on en donne le symbole. Rousseau l’a essayé dans la profession de foi du Vicaire