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ou écrivant de toi, ne dise au souvenir de ton renom passé : En voilà une qui fut grande et qui ne l’est plus ! Pourquoi, pourquoi ? Où est la force antique, où sont les armes, la valeur et la constance ? qui t’a pris l’épée à ta ceinture ? qui t’a trahie ? quelle ruse, ou quel long effort, ou quelle si grande puissance fut capable de t’enlever le manteau et les bandelettes d’or ? comment et quand es-tu tombée d’une telle hauteur en si bas lieu ? personne ne combat-il pour toi ? n’es-tu défendue par aucun des tiens ? des armes, ici, des armes ! moi seul je combattrai, je tomberai seul ; et fasse le ciel que pour les cœurs italiens mon sang devienne flamme !

« Où sont tes fils ? J’entends le son des armes et des chars, et des voix et des timbales ; dans les contrées étrangères tes fils combattent. Attention, Italie ! prête l’oreille. Je vois ou crois voir tout un flot de fantassins et de cavaliers, fumée et poussière, et briller les épées comme les éclairs dans la nue. Et tu te tais et tu pleures, et tu n’as pas même la force de tourner ton tremblant regard vers la lutte douteuse ! Pour qui donc combat dans ces champs la jeunesse italienne ? O dieux, ô dieux ! les glaives italiens combattent pour la terre étrangère. O malheureux qui tombe à la guerre, non point pour la défense des rivages paternels, pour la pieuse compagne et les fils chéris, mais frappé de la main d’ennemis qui ne sont pas les siens, pour le compte d’autrui, et qui ne peut dire en mourant : Douce terre natale, la vie que tu m’as donnée, la voici, je te la rends !

« Oh ! bienheureux et chers et bénis les âges antiques, où les nations couraient par bandes à la mort pour la patrie ; et vous, soyez à jamais honorées et glorieuses, ô gorges de Thessalie, où la Perse tout entière et le destin furent de bien moindre force qu’une poignée d’ames héroïques et généreuses… »


Et apostrophant ici les rochers, les arbres et la mer, le poète leur redemande le récit de cette mort invincible, de cette chute triomphante, et il refait hardiment le chant perdu de Simonide.

On l’a déjà remarqué avant nous[1], Leopardi s’est toujours beaucoup préoccupé de Simonide : il ne l’a pas seulement reproduit et restitué dans l’héroïque, il a traduit ses deux morceaux mélancoliques d’élégie. J’ajouterais qu’il n’a pas omis non plus le morceau satirique sur les femmes, si cette pièce ne paraissait devoir être attribuée à un autre Simonide. Mais, en tout, il semble que Leopardi, parmi les modernes, puisse être dit un poète du même ordre et de la même variété que Simonide parmi les anciens. A côté des élans les plus enflammés

  1. M. Theil l’avait remarqué dans un article du journal la Paix (4 mars 1837), où il parlait de Leopardi à merveille, mais devant un public distrait et dans un lieu trop peu littéraire.