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de l’hymne et de la louange des héros, il a trouvé les accens les plus douloureux et les plus directs de la plainte humaine.

Son second chant, sa seconde messénienne, comme on peut l’appeler, au sujet du monument préparé à Dante, est dans le même ton que la première, mais encore plus empreinte, s’il se peut, de sombre et patriotique amertume. C’est à Dante poète, à Dante surtout citoyen et patriote qu’il s’adresse et qu’il demande assistance et recours dans cet abaissement du présent


« O père illustre du mètre toscan, si à vos sacrés rivages il parvient quelque nouvelle encore des choses de la terre et de cette patrie que tu as placée si haut, je sais bien que tu ne ressens point de joie pour toi-même, car moins solides que la cire et que le sable sont les bronzes et les marbres au prix du renom que tu as laissé de toi ; et si tu as jamais pu, si tu pouvais un jour tomber de notre mémoire, que croisse notre malheur s’il peut croître encore, et que ta race inconnue de l’univers soit vouée à d’éternels gémissemens !

« Mais non, ce n’est pas pour toi que tu te réjouis, c’est pour cette pauvre patrie, à l’idée que peut-être l’exemple des pères et des ayeux réveillera assez les fils assoupis et malades pour qu’ils relèvent tout d’un coup leur regard. Hélas ! de quel long outrage t’apparaît flétrie celle qui te saluait, déjà si malheureuse, alors que tu montas la première fois au paradis ! Et pourtant, auprès de ce que tu la vois aujourd’hui, elle était alors heureuse maîtresse et reine. Une telle misère lui ronge le cœur que peut-être, en la voyant, tu n’en crois pas tes yeux. Je veux taire les autres ennemis et les autres sujets de deuil, mais non la France scélérate et mauvaise (la Francia scelerata e nera), par qui ma patrie à l’extrémité a vu de près son dernier soir. »


Je ne crains pas de rétablir ici le nom de la France, que Leopardi a supprimé dans ses corrections dernières, tout en laissant subsister le passage et en substituant par manière d’adoucissement l’appellation de cruelle (fera). Il ne pardonnait pas à la France la diminution et la confiscation de l’Italie sous l’Empire ; ces impressions d’enfance lui demeurèrent durables et profondes. Il redevenait de 1813, en écrivant cinq ans plus tard, et son accent répondait, on l’a remarqué, au cri d’imprécation des généreux Allemands Henri Kleist, Arndt et Koerner. Ainsi, dans ce chant au Dante, il peint en traits sanglans la perte des légions italiennes durant la campagne de Russie, ces hommes du Midi ensevelis sous les glaces et, dans leur dernier regard vers leur mère adorée, se disant :


« Plût au ciel que ce ne fussent ni les vents, ni les tempêtes, mais le fer