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que nos avoués, nos avocats et nos huissiers s’enverront, pour nous, des bombes et des obus, nous chasserons le renard, nous vivrons en joie et nous boirons le vin de nos caves. Je serai chez vous, et vous serez chez moi. Comme il n’est pas de procès bien mené qui ne puisse durer vingt ans, nous aurons le loisir de nous connaître et de nous apprécier ; nous en viendrons peut-être à nous aimer, et le jour où nous découvrirons que notre château, notre parc, nos bois, nos champs, nos prés, nos fermes et nos métairies auront passé en frais de justice, ce jour-là, qui sait ? nous nous embrasserons.

— Monsieur le marquis, répondit Bernard, qui n’avait pu s’empêcher de sourire, je vois avec plaisir que vous prenez gaiement les choses ; de votre côté, trouvez bon que je les traite plus sérieusement. Il n’est pas un coin de ces terres que mon père n’ait arrosé de ses sueurs et aussi de ses larmes ; il ne convient pas que j’en fasse le théâtre d’une comédie.

À ces mots, après avoir salué froidement, il se dirigea vers la porte. Le marquis fit un geste de désespoir résigné, et Mme  de Vaubert poussa dans son cœur un rugissement de lionne qui vient de laisser échapper sa proie. Bernard eût emporté le domaine de La Seiglière dans ses poches, que ces deux visages n’auraient pas exprimé plus de consternation. Encore un pas, et tout était dit, lorsqu’au moment où Bernard allait ouvrir la porte du salon, cette porte s’ouvrit d’elle-même, et Mlle  de La Seiglière entra.

Jules Sandeau. 
 (La fin au prochain numéro).