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brut était presque entièrement absorbé. La société, prise dans son ensemble, n’avait pour s’enrichir que les profits de la conquête. L’industrie moderne, qui a pour mobile l’intérêt personnel, spécule sur l’épargne d’un produit net, c’est-à-dire sur des bénéfices qui se capitalisent dans certaines mains privilégiées. Assez souvent ce bénéfice n’est obtenu qu’au moyen d’une pression exercée sur les classes pauvres : c’est ce qui arrive présentement en Angleterre, et malheureusement cette situation finirait par se généraliser, si les gouvernemens européens n’avisaient pas sérieusement aux remèdes.

S’il suffisait d’augmenter la masse des marchandises disponibles pour que tout le monde obtînt la satisfaction de ses besoins, la tâche des hommes d’état serait bien simplifiée. Avec les moyens que les arts chimiques et mécaniques mettent à la disposition des capitalistes, il n’est presque pas d’industrie dont la fécondité ne puisse être accrue indéfiniment. La seule limite opposée aujourd’hui aux entrepreneurs, c’est la possibilité du placement. M. Michel Chevalier n’explique pas assez nettement comment les pauvres pourraient être mis en mesure de se procurer ce qui leur manque. Il s’en tient à recommander vaguement que toutes les industries doublent leur fabrication à la fois. « Car, dit-il, pour qu’un industriel puisse acheter les produits de son voisin, il faut qu’il en crée lui-même, et c’est pour cela qu’une augmentation de production, lorsqu’elle, est partielle, peut fort bien ne pas constituer une augmentation de richesse pour ceux à qui elle est due. » Au fond, la pensée du professeur est juste et féconde ; mais elle semble entachée d’erreur par la façon dont elle est formulée Nous nous permettrons de la rectifier en la discutant. C’est dans l’élucidation de ces problèmes que l’économiste peut faire apprécier la vertu des principes abstraits et l’utilité d’une bonne méthode analytique.

Les acquisitions du salarié sont réglées sur les ressources de son modeste budget. Si par prodige ; la production se trouvait tout à coup doublée dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui, on accumulerait deux fois plus de marchandises dans les magasins, mais les ouvriers ne pourraient pas acheter davantage, à moins que cet encombrement ne produisît une baisse de prix qui aboutirait bientôt à une crise commerciale. Si tous les salaires étaient augmentés à la fois, tous les prix de revient et de vente s’élèveraient dans une égale proportion, et, en définitive, rien ne serait amélioré. L’erreur de M. Chevalier provient de ce qu’il confond, sous la dénomination générale d’industriel, les agens très divers de l’industrie, qui sont les capitalistes, promoteurs du travail, les entrepreneurs, représentans de l’intelligence, et les