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eût fait surenchérir la main d’œuvre ; que le prix des journées se fût élevé de 50 c., de 1 fr peut-être, et qu’ainsi le résultat eût été encore plus onéreux au trésor. Mais, demanderons-nous à notre tour, avec tous les moyens d’action dont un gouvernement dispose, n’eut-il pas été possible d’attirer une affluence d’ouvriers civils assez grande pour que le taux des salaires restât dans une mesure équitable ? Le nombre des militaires appliqués aux fortifications de la rive droite a été en moyenne de 5,620 par jour, et ils auraient pu être remplacés avec avantage par 4,000 ouvriers à la journée. N’aurait-on pas pu recruter dans les ateliers qui chôment, dans les campagnes sans industrie, assez de bras inoccupés pour représenter 4,000 bons travailleurs ? Si le trésor devait subir quelques sacrifices, n’était-il pas plus convenable qu’ils profitassent à ces malheureux, dont l’inaction et la misère sont un danger permanent, plutôt qu’à des soldats à qui le nécessaire est assuré par le budget ? Nous ne présentons ces observations qu’avec la réserve du doute. Nous insisterons seulement sur ce point que, dans la disposition présente des esprits, la politique la plus saine, la plus vraiment digne du nom de conservatrice, sera celle qui acceptera sincèrement la tutelle des classes pauvres.

Le second moyen recommandé par M. Michel Chevalier, pour augmenter la prospérité nationale, est le perfectionnement de nos institutions de crédit. Le professeur n’a pas encore abordé spécialement ce sujet dans les volumes imprimés de son cours ; mais il le touche incidemment dans ses divers ouvrages. On retrouve dans le peu qu’il en dit les qualités constitutives de son talent, la pénétration un peu aventureuse unie au bon sens pratique. Il a été heureux pour M. Chevalier de visiter l’Amérique à une époque où il était possible d’étudier doublement le crédit dans les prodiges de sa puissance et dans ses abus désastreux. Ces populations opulentes substituées à des hordes sauvages, ces grands fleuves subjugués et enchaînés les uns aux autres par des canaux, ces chemins de fer gigantesques sillonnant des déserts, ces riches cultures, ces usines, ces chantiers, cette marine formidable, racontaient au voyageur les merveilles du crédit. En même temps, le reflet de cette splendeur éclairait un étrange spectacle. A voir ces mêmes populations déjà souffrantes du présent et effrayées de l’avenir, on éprouvait ce serrement de cœur que cause, à l’approche d’un orage, l’assombrissement du ciel et le malaise général de la nature. Les discussions de tribunes, la publicité périodique, composaient une confusion de cris et d’injures, un pêle-mêle où chacun