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bataillait pour ou contre les banques. Un parti politique, le plus puissant par le nombre et par la conformité de ses principes avec la constitution du pays, avait pour mot de ralliement : Plus de banques ! Au haut des arbres de liberté dressés sur les places publiques, sur les bannières promenées dans les rues par une foule menaçante, on lisait : No bank ! no rag-money ! A bas les banques ! plus de monnaies de chiffons ! L’irritation, en un mot, était arrivée à tel point qu’elle présentait déjà des symptômes de guerre civile, et que la rupture du lien fédéral semblait à craindre.

Ce contraste n’a rien de surprenant pour quiconque connaît la véritable nature du crédit. Un économiste du siècle dernier qui émerveilla ses contemporains en décrivant l’un des premiers les phénomènes de la circulation, le Hollandais Pinto, a osé dire que le crédit est l’alchimie réalisée. Cette parole est encore article de foi pour beaucoup de théoriciens en Amérique, en Angleterre et chez nous. Une telle exagération est plus dangereuse que l’erreur. Le crédit est un excitant à la production ; comme tous les remèdes de cette nature, il détermine une fièvre mortelle, s’il est employé sans ménagemens. Tout le monde sait que le capital d’une société se compose de deux espèces de valeurs : les unes ne sont pas de nature à être réalisées immédiatement ; les autres sont transmissibles, comme la monnaie, ou certains objets qui peuvent être facilement et sans perte convertis en monnaie. Les valeurs de cette dernière espèce sont les alimens, les outils du travail. Le propriétaire du plus riche fonds de terre ne peut exploiter, faire bâtir, qu’à la condition d’avoir de l’argent en main. Qu’est-ce donc que le crédit, à le considérer dans son essence ? Un procédé au moyen duquel on communique à des valeurs non transmissibles, la vertu des valeurs mobiles. Supposez un pays mobilisant ainsi en une seule année, au moyen de ses comptoirs d’escompte, une somme de 6 milliards[1] ; ces flots d’or et d’argent, répandus dans la circulation, provoqueront toutes sortes d’entreprises, et, si ce pays se trouve dans une situation exceptionnelle comme celle des États-Unis jusqu’en 1830, si tout y est à créer, toutes les opérations tourneront forcément à bien. Non-seulement il y aura profit pour les chefs d’industrie comme pour les capitalistes, mais la concurrence établie entre ceux-ci élèvera le prix de la main-d’œuvre et procurera aux ouvriers un bien-être réel. A la longue cependant, les

  1. C’est au moins, suivant l’estimation de M. Michel Chevalier, la somme des escomptes faits en 1833 par les banques de L’Union américaine.