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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/12

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REVUE DES DEUX MONDES.

les plus graves, l’entreprise qui aura pour effet d’ouvrir la Chine à l’Europe, il est impossible qu’on sente faiblir sa foi dans le régime représentatif. On comprend plutôt quelle force irrésistible il doit donner dans une cause juste, quand on se préoccupe uniquement d’étendre les conquêtes légitimes de la civilisation, puisque, dans cette guerre immorale dont le commerce de l’opium était le but immédiat, il a mis sir Robert Peel en état de réaliser son gigantesque dessein. Non, ce n’est pas le régime constitutionnel qui abaisse les hommes, mais les hommes qui abaissent le régime constitutionnel.

Le cabinet a conclu la paix avec le Maroc ; certes, si, en poursuivant leurs victoires, nos marins et nos soldats avaient dû nécessairement provoquer une guerre générale, nous ne blâmerions pas le gouvernement d’avoir voulu prévenir une telle conflagration ; mais avant de rappeler nos troupes, ne pouvait-on pas, du moins, stipuler des conditions formelles et précises dans l’intérêt de notre commerce, au lieu de remettre en vigueur un vieux traité qui, en dernier résultat, ne lui a valu jamais qu’une protection illusoire ? Ne pouvait-on pas stipuler ces conditions dans l’intérêt du commerce européen tout entier ? Ne pouvait-on pas, enfin, tout en se montrant plus généreux que l’Angleterre, faire pour l’Europe, au Maroc, ce que l’Angleterre a fait en Chine ? Dans cette Revue même, il y a quatre ans[1], cette grande question a été hardiment débattue ; on y a, de la façon la plus nette, indiqué la solution qu’elle doit recevoir, on y a prouvé qu’aux portes mêmes de nos possessions d’Afrique, la barbarie marocaine ne peut plus long-temps se maintenir, mystérieuse et menaçante, toujours prête à nous susciter les périls et les embarras. Si dans la lutte décisive, qu’il ne dépend d’aucune puissance humaine de prévenir, entre cette barbarie et la civilisation chrétienne, la France abandonne le premier rôle, un autre peuple se rencontrera, n’en doutez point, qui n’hésitera pas à s’en emparer. Prenez garde : rien que pour conserver Gibraltar, L’Angleterre a besoin d’agrandir et de multiplier au Maroc ses relations, qui, aujourd’hui même, forment déjà les deux tiers de celles qu’y entretient l’Europe entière. L’Angleterre envie Ceuta, qui, entre les mains de l’Espagne régénérée, pourrait lui disputer la domination du détroit. Il y a vingt-cinq ans, elle méditait, — un écrivain de Madrid, don Serafin Calderon, nous dévoile, jusque dans les moindres détails, des plans qu’elle est loin d’avoir abandonnés, — de jeter à Tétuan une colonie d’Irlandais, de façon à isoler du continent africain cette même ville de Ceuta, que ses vaisseaux bloqueraient par la Méditerranée. Elle comprend, elle est sûre d’avance que le commerce de l’Afrique centrale, maintenant interdit à l’Occident, appartiendra au peuple qui s’ouvrira le Maroc. Hier encore, quand nous pouvions forcer la barrière, on a vu par quels transports de colère se sont manifestées ses inquiétudes, on a vu, quand nous avons laissé échapper l’occasion, de quelle satisfaction vive elle a été tout à coup saisie L’Angleterre a pourtant la conviction que la barrière ne peut

  1. Le Maroc et la Question d’Alger, livraion du 15 décembre 1840.