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l’avouer, que la tragédie érudite était sans intérêt, que la comédie selon les règles était sans variété comme sans pudeur. Dès le commencement du XVIIe siècle, les scènes académiques tombèrent dans un discrédit dont elles ne se relevèrent pas en essayant de se transformer en spectacles payés.

Un obstacle décisif s’opposait d’ailleurs au succès des érudits. Un théâtre ne peut prospérer qu’à la condition d’être populaire. Or, la langue des académiciens, qui est une épuration minutieuse du dialecte toscan, n’a jamais été adoptée généralement. On compte dans la péninsule environ quatorze patois qui correspondent, assure-t-on, par leurs qualités et leurs défauts, aux traits caractéristiques des contrées où ils sont en usage. Un esprit instinctif d’opposition centre la langue officielle, un sentiment de vanité mesquine, attachent les localités rivales à leurs différens idiomes. La foule, glacée aux interminables tirades des académiciens, se portait donc devant les tréteaux de ces bouffons ambulans qui, dans un dialogue improvisé, parlaient à chaque province la langue qu’elle aimait. Les vrais artistes, aux yeux du peuple, n’étaient pas les érudits dévoués et laborieux : c’étaient, comme le prouve le nom populaire des pièces à canevas. (comedia dell’arte), c’étaient ces joyeux improvisateurs qui, le masque au visage, le geste prompt, la langue vive et piquante, gambadant, riant des pieds à la tête, pouvant tout risquer, parce qu’ils étaient certains d’avoir un public grossier pour complice, remplissaient avec plus ou moins de bonheur des scenarios dont l’intention seulement était convenue à l’avance.

Je veux bien croire que plusieurs comédiens de l’art ont justifié par leur esprit, et leur gentillesse la célébrité acquise à leur nom. Néanmoins, en examinant les conditions auxquelles l’impromptu est possible, on voit qu’il ne constitue qu’un genre inférieur auquel on hésite à accorder quelque estime. Les patois employés par les bouffons, consistant dans certaines altérations du langage littéraire, devaient exclure le sentiment d’une bonne diction. Au lieu de se transformer sans cesse comme nos acteurs, de revêtir autant de caractères que de rôles, le comédien de l’art, voué à un seul type, restait le même personnage dans mille pièces différentes. Il était toujours, ou Pantalon, l’avare négociant de Venise, ou Arlequin, l’espiègle de Bergame, ou le docteur, c’est-à-dire un pédant bolonais, ou le jovial Polichinelle. Le bravache, le fourbe, le niais, le rustre calabrais, le fat romain, le petit maître florentin, le bon bourgeois milanais, avaient chacun leur nom, leur masque, leur costume, leurs lazzis, connus l’avancé du dernier