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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/166

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LETTRE À ROSSINI
À PROPOS D’OTHELLO.

Cher Maître,

Dans la solitude où vous vous êtes retiré, désormais vous ne devez plus guère permettre aux bruits du monde d’arriver jusqu’à votre oreille. Je parle ici d’un certain monde dont on vous vit de bonne heure abdiquer les passions, si tant est que vous les ayez jamais eues ; car il faut bien avouer, quoi qu’on puisse dire, que les mille préoccupations dévorantes de la vie d’artiste, sous lesquelles tant de consciences généreuses et d’esprits noblement doués se débattent mesquinement, n’ont jamais été votre fait. Naturelle ou jouée, votre indifférence en matière de gloire musicale ne s’est jamais démentie, et du même regard impassible et glacé, du même sourire goguenard dont vous accueilliez jadis les fanatiques acclamations de la multitude, vous deviez assister aux triomphes bruyamment décernés à vos rivaux d’un jour. Je me trompe cependant : une fois votre sérénité si grande s’obscurcit, une fois ceux qui vous approchaient crurent surprendre dans votre air je ne sais quelles traces d’une mélancolie réelle. Ce fut, si j’ai bonne mémoire, à l’avènement de Bellini. Cette voix passionnée