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et tendre chantant sur un mode nouveau l’éternelle complainte du cœur humain, cette voix mélodieuse vous toucha d’abord ; puis, quand les transports éclatèrent, lorsque l’enthousiasme d’un dilettantisme excessif ne voulut plus entendre qu’elle, un peu de découragement vous prit. N’allez pas croire au moins que je prétende ici vous en faire un reproche ; de pareils sentimens n’ont rien qui ne puisse s’avouer tout haut, et l’envie qui rampe aux basses régions ne se loge guère en des natures comme la vôtre. L’amertume vous vint, en cette occasion, de l’attitude du public. L’idée de son ingratitude insigne et du peu de cas qu’on doit faire de son oubli comme de sa faveur ne devait pourtant pas chez vous être nouvelle. Quoi qu’il en soit, il semble qu’elle saisit ce prétexte pour se présenter à vos yeux sous des couleurs plus sombres, et, comme on dit, se formuler définitivement. Il y a dans la littérature allemande un exemple à peu près pareil au vôtre. Je veux parler de cette espèce d’hésitation qui s’empara de Goethe à l’apparition de Novalis. Ce jeune homme divinement inspiré, ce penseur de vingt ans, s’élevant du milieu d’un groupe hostile avec son verbe lumineux et cette physionomie singulière qui vous donne comme une vague idée de Platon au sein des temps nouveaux, étonna, s’il ne l’effraya point, le Jupiter dans son Olympe, et sa main, occupée à lancer des foudres sur la horde romantique aux abois, attendit volontiers que l’ombre harmonieuse eût disparu, ce qui ne tarda guère, car du chantre de Henri d’Ofterdingen comme du chantre des Puritains, il devait bientôt ne plus rester qu’une lyre brisée sur un tombeau. Ne souriez pas trop du rapprochement, cher maître ; l’aigle chasse les cygnes devant lui, et la mort aime ainsi par occasion à faire la place nette autour des cerveaux prédestinés. Comme le poète de Weimar, vous deviez survivre, vous, par cette loi de la ; nature qui consacre la force en toute chose, et parce qu’il fallait qu’il u eût un Rossini dans le siècle de Byron, de Goethe et de Châteaubriand.

De cette époque date, vrai dire, votre abdication. Sitôt après Guillaume-Tell, vous eussiez, j’imagine, volontiers composé encore. Évidemment, ce chef-d’œuvre ouvre un cycle que votre génie n’a point eu le temps de parcourir, et la sève si magnifiquement reconquise n’en était pas à donner son dernier fruit. Par malheur, ceux qui vous entouraient alors négligèrent de mettre à profit les circonstances ; et si nous devons en toute chose tenir compte de l’occasion, c’est surtout avec des natures comme la vôtre, où le scepticisme domine, où l’ironie