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plus riches et des plus considérés reçoit de l’empereur la mission expresse de veiller au maintien de l’ordre et de la paix publique. Toutes les nuits, ce Maure est obligé de faire des patrouilles dans lesquelles il est assisté par ses voisins et par tous ceux qu’il rencontre sur sa route. Dans les fêtes et les cérémonies religieuses, c’est ce magistrat qui porte la bannière du quartier, sous laquelle tous ses administrés se viennent ranger en foule. Cette institution ne vous rappelle-t-elle point celle des gonfaloniers à Florence et dans les républiques italiennes du moyen-âge ?

Souvent, quand le trésor public est à sec, le sultan décrète des impositions extraordinaires qui frappent indistinctement toutes les classes de la population. Pour faciliter le recouvrement de ces contributions, on divise la ville en cinq quartier dans chacun de ces quartiers, un notable est chargé de répartir l’impôt suivant les ressources dont les chefs de famille peuvent disposer Au reste, les alcades de quartier n’exercent leur juridiction que sur les sujets de race blanche ; libres ou esclaves, les nègres ont un alcade particulier, nègre comme eux et chargé par le pacha de veiller à ce qu’ils ne soient point foulés et persécutés outre mesure. Quand un esclave a de nombreux griefs à faire valoir contre son maître, l’alcade noir les apporte aux pieds du pacha, qui les accueille ou les repousse, comme il lui convient. Presque toujours, cependant, le maître est obligé de vendre l’esclave, si celui-ci peut fournir la preuve qu’il a été bien réellement maltraité.

La loi musulmane interdit à l’autorité politique d’imposer des contributions aux vrais fidèles. Les sectateurs de l’islam sont obligés tout simplement de livrer aux officiers de l’empereur le dixième de leurs revenus ; encore, depuis on ne sait combien de siècles, ce dixième a-t-il été réduit à une contribution de deux et demi pour cent environ du revenu que l’on est censé avoir, celui des maisons formellement excepté. Mahomet exempte en outré de l’impôt tout homme dont le revenu n’excède point une valeur de 20 ducats. Ce n’est pas tout : les alcades de quartier, que l’empereur charge de répartir l’impôt, n’ont pas pour cela mission de fixer la somme que chacun est tenu de payer. C’est le contribuable qui s’impose lui-même, et déclare, selon l’impulsion de sa conscience, jusqu’à quel point il lui est possible de supporter les charges de l’état. Quand le trésor public est absolument épuisé, le sultan s’adresse directement au peuple, et fait un pathétique appel à son patriotisme ; dans chaque province ; dans chaque ville importante, le pacha convoque les plus puissans et les plus riches ; il leur expose les misères de la situation, et puis, leur montrant, au milieu du prétoire, cinq ou six grands vases de terre à moitie remplis d’eau, il les invite à mettre la somme que chacun d’eux juge convenable d’offrir à l’empereur. Les riches Maures s’approchent alors des vases, et, trempant dans l’eau leur main ferme, ils laissent tomber au fond, sans que personne puisse voir en quoi elle consiste, la contribution qu’ils veulent bien s’imposer. La nuit venue, le pacha brise les vases et envoie au sultan l’or ou l’argent qu’ils peuvent contenir. Voilà, sans