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s’agit de témoins jouissant d’une considération ordinaire. Si dans la même cause il se présentait trois de ces éminens personnages qui se nomment les sages du Koran, il suffirait de leur déposition pour former la conviction du cadi Dans les affaires purement civiques, la justice est beaucoup plus expéditive. Un Maure est-il condamné à payer une dette, il est tenu de l’acquitter immédiatement, S’il ne veut être conduit en prison. S’il se résigne à perdre sa liberté, le créancier est obligé de le nourrir, mais seulement au pain et à l’eau. Après trois jours d’une captivité si rigoureuse, il est fort rare que les débiteurs solvables, — on ne poursuit guère que ceux-là, — ne sollicitent d’eux-mêmes un accommodement. Quand l’affaire en est venue là, le Koran leur accorde trente jours pour se libérer tout-à-fait. Si le créancier n’a, pour justifier sa demande, ni témoins ni pièces écrites, le cadi se borne à déférer le serment au défendeur. C’est, là une épreuve que tout le monde redoute, même les plus considérés, même les plus honnêtes, il s’en est rencontré souvent qui, pour ne la point subir, se sont résignés à reconnaître des prétentions évidemment mal fondées. C’est en présence du peuple, dans la mosquée principale, le visage tourné vers la Mecque, que s’accomplit la terrible formalité du serment mais quand arrive le jour où elle doit avoir lieu, des villes entières s’émeuvent, des familles puissantes imposent leur intervention, et presque toujours elles parviennent à concilier les parties.

Pour arriver à découvrir la vérité, pour forcer l’accusé à l’aveu du crime, les cadis marocains s’y prennent de diverses manières, en raison de leur caractère, de leurs sentimens plus ou moins humains, de leur humeur plus ou moins féroce. C’est par les coups de fouet, par le poids des plus lourdes chaînes, par la faim et la soif, que sont combattues les dénégations opiniâtres ; souvent encore, avec des câbles de fer, le malheureux qu’on torture est attaché sur des tables de marbre glacé. Si le sultan a résolu de faire main basse sur le trésor d’un pacha, on sévit contre tous les siens, femmes, enfans, esclaves, sans distinction d’âge ni de sexe ; contre tout le monde, on emploie le fouet, quelquefois le pal, le billot, le sac, où l’on coud la victime avant de la jeter à la mer. Quand la sentence est prononcée, l’application de la peine est immédiate ; on connaît au Maroc des peines de quatre degrés, la mort, l’emprisonnement temporaire ou perpétuel, la mutilation, l’amende et le fouet. A vrai dire, c’est presque toujours en vue de l’amende que le juge prononce la sentence, ou que les Arabes offensés traînent leurs adversaires devant les cadis. Si odieux que puissent être les crimes qu’on a commis, on est assuré de l’impunité, pour peu qu’on soit riche ; on est certain d’avance que la peine sera commuée. Quand on se décide à exécuter un arrêt de mort, le condamné est fusillé par derrière ; le condamné au fouet est flagellé par les rues de la ville, les mains garrottées, les épaules nues, et lui-même, de vingt pas en vingt pas est tenu de proclamer à haute voix pourquoi il est ainsi châtié. Souvent à la peine du fouet on substitue des coups de bâton sur la plante des pieds ; mais c’est là un châtiment militaire et de pure discipline, que le pacha fait arbitrairement infliger à qui lui déplaît.