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égales, et forme les deux ailes ; elle se déploie comme un grand croissant, au centre duquel se placent les fantassins. Un moment avant l’attaque, chacun récide un verset du Koran ; puis, jetant d’une voix terrible son cri de guerre : La ilah, ela ilah ! l’armée entière se précipite sur l’ennemi. Que celui-ci soutienne son premier choc, et il est sûr de la victoire ; mocademes et alcaïdes essaient en vain de reformer les rangs de leurs troupes pour les ramener à la charge : rien ne peut retenir ces soldats fatalistes qui, dans leur moindre revers, voient un signe manifeste qu’Allah a résolu de ne leur point accorder la victoire. Dans toutes leurs rencontres avec les troupes européennes, c’est principalement le défaut d’artillerie qui assurera leur défaite. Il y a cependant au Maroc deux mille artilleurs environ, presque tous renégats et disséminés dans vingt-cinq forteresses, à Fez, à Méquinez, à Maroc, à l’entrée des plus périlleux défilés, à Tanger, à Salé, à Larache, le long des côtes enfin de la Méditerranée et de l’Océan. Bien qu’elles soient hors d’état de soutenir une attaque habilement dirigée, les forteresses de la côte sont pourtant les moins délabrées, les mieux pourvues de canons. Mal montées, mal construites, les batteries marocaines sont composées de pièces de fer ou de bronze, d’un calibre variant entre huit et vingt-quatre ; Tanger a quelques mortiers de dimensions inégales ; quant à l’usage de l’obusier, il est encore inconnu dans tout le Maroc. Nous ne parlons point des artilleurs : la bataille d’Isly a montré ce qu’ils savent faire ; si l’on excepte un très petit nombre de renégats, ils sont à peine capables de manier le levier et l’écouvillon.

Dans l’almagasen, le métier de soldat est héréditeur et réputé noble ; c’est un privilège que l’empereur lui-même se réserve de conférer, quand vient à s’éteindre une famille qui en est investie. Qu’ils appartiennent aux troupes régulières ou aux troupes irrégulières, tous les soldats sont tenus d’exécuter aveuglément les sentences proloncées par les pachas et les cadis, si ce n’est pourtant celles qui entraînent la mutilation des membres ou la perte de la vie. C’est l’empereur qui fait exécuter par les nègres de sa garde les mutilsations et les arrêts de mort. On s’étonne, au premier aspect, que des soldats nobles soient ainsi convertis en bourreaux ; mais on sait que, dans tout l’Orient, ce nom de bourreau ne soulève aucun sentiment d’horreur ni de réprobation.

Si peu nombreuse, si mal disciplinée que soit aujourd’hui l’armée régulière, on ne peut s’empêcher pourtant de trouver son organisation admirable, si on la compare à celle de la marine, dont l’administration d’Abderrahamn a précipité et consommé la décadence. En 1793, quand Muley-Soliman monta sur le trône, sa flotte se composait de dix frégates, de quatre brigantins, de quatorze galères, de dix-neuf barques canonnières, montées par six mille marins exercés ; celle d’Abderrahman n’est plus maintenant que de trois brigantines qui à peine porteraient quarante canons, et de treize grandes barques, tant bien que mal embossées à l’embouchure du Buregreg, du Lucos et du Martil. Ce dernier fleuve est celui qui baigne les remparts