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a le plus nui au maître, ce qui a perverti à l’entour une ofule de jeunes talens, c’est la mise en pratique de la trop célèbre poétiqaue de la préface de Cromwell. Certainement, M. Victor Hugo, avec sa prose éloquente, vigoureuse, mais trop tatouée et blasonnée d’images, avait écrit là des pages où se retrouve quelquefois la couleur effrénée de Rubens. Par malheur, ces belles théories nous ont valu la littérature débraillée dont tout le monde est las ; elles ont fait de l’art une sorte de mascarade à paillettes et à oripeaux écarlates, comme au temps de ces grotesques de Louis XIII que M. Gautier nous vante aujourd’hui, dans un moment de bonne humeur rétrospective.

C’était la théorie du grotesque aussi qui était le côté le plus saillant de la préface de Cromwell. Quelle était, à dire le vrai, l’origine psychologique de cette idée qui s’est systématiquement reproduite dans presque toutes les œuvres de M. Victor Hugo, et qui a contribué plus que tout le reste à gâter les essais ce ses disciples ? Si on décompose le précepte si solennellement énoncé, on arrivera vite à le rapporter à deux penchans, tout-à-fait natifs chez M. Victor Hugo, à son goût extrême de la réalité matérielle, et à sa passion si marquée pour l’antithèse. Qu’est-ce, en effet, que le grotesque ainsi entendu ? D’un côté, la reproduction littérale dans l’art des défauts de la nature : voilà bien le goût de la réalité, de l’autre, l’opposition cherchée de ce qui est mal et de ce qui est bien, de ce qui est beau et de ce qui est laid : voilà bien la passion de l’antithèse. Appliquez cela à la création des types littéraires, vous aurez Han d’Islande, Quasimodo, Bug-Jargal, tous ces personnages monstrueux, rachitiques, bossus, contournés, repoussans, toute cette famille que le poète a cru faire vivre, et qui n’est au fond, que le même être impossible toujours reproduit, toujours essayé en vain. Dans Shakspeare, l’admirable Falstaff n’est pas la doublure de Caliban, comme Triboulet est celle de l’Angely : tous deux vivent, au contraire ; on les connaît, on les voit, on les entend, on rit d’eux. Les grotesques de M. Victor Hugo n’ont rien de cette aisance que donne la vraie vie de l’art : ils amènent le sourire sur les lèvres, mais ce n’est pas celui de la gaieté ; c’est le triste sourire du critique qui aperçoit la ficelle du mannequin Malgré quelques mots assez pantagruéliques et goguenards de son César de Bazan, on peut dire que M. Victor Hugo n’a en aucune façon ce don du génie comique qui nous intéresse aux drôleries de Panurge, à l’optimisme bouffon de Pangloss, à l’étincelante ironie de Figaro. Sans nul doute, de pareilles créations sont naturelles à l’esprit français, et ce n’est pas dans le pays des trouvères, de Patelin et de la Satire ménippée, que