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la veine comique pourrait se tarir ; mais M. Victor Hugo est de la lignée de Pindare et de Byron : il n’est pas de celle d’Aristophane et de Molière. Ses Grotesques me font toujours, l’effet de quelque silhouette mal venue de Callot qu’on collerait, sans plus de façon, au beau milieu d’une toile de Rembrandt. Rien de plus alambiqué et de plus faux que ce comique d’antithèse, que cette contre-partie de la beauté morale toujours montrée dans la laideur matérielle, que cette opposition factice et toujours faite homme des élémens contraires de notre nature. C’est en grand le procédé des macaronées.

Tout cela, d’ailleurs, n’est pas aussi neuf qu’on le voudrait faire croire, et de pareilles peintures n’ont pas été le moins du monde étrangères à l’antiquité. On a encore un petit drame grotesque d’Euripide, et il me semble qu’en fait de fantaisie, les nuages parlans et les grenouilles railleuses d’Aristophane ne laissent pas plus à désirer que les matamores poltrons ou les parasites borgnes et ventrus de la scène latine. L’histoire est donc là pour démentir ces assertions pompeuses et frivoles Voici même Pline qui vous renvoie à cet artiste grec, à ce peintre de chiffonniers[1], dont les ouvrages étaient d’un prix exorbitant. Par le temps qui court, ce dernier détail ne gâte rien, et il absoudra quelque peu, je l’espère, aux yeux des modernes grotesques la prétendue pruderie des anciens. Rien n’est moins vrai, au surplus, que de faire coïncider l’intervention de l’élément grotesque dans l’art avec le christianisme ; l’art chrétien, au contraire, garda cela des païens comme un élément d’opposition contre son propre idéalisme, comme une protestation persistante de la chair contre l’esprit. Ces figurines bizarres qui grimacent sous les porches des églises, la fête de l’âne, la danse macabre, toutes les folles et cyniques gausseries du moyen-âge ne sont pas autre chose.

Appliquée non plus au drame lui-même, c’est-à-dire à l’invention des personnages, mais au détail du style, au procédé, au faire de l’écrivain, je ne saurais croire que cette doctrine de M. Victor Hugo soit meilleure. Elle a produit des effets déplorables. On a eu l’orgie des mots après l’orgie des idées, et le mot, une fois maître, a voulu tenir le sceptre. Voilà comment l’idée a été oubliée pour l’expression, qui bientôt l’a surchargée et écrasée. Dans cet enivrement de la forme, dans ce magnétisme fascinateur du langage, l’art de la plume est devenu

  1. C’est ainsi que traduit Wieland, et il traduit bien. Voyez, dans ses Mélanges” le court et judicieux morceau sur la teinture grotesque chez les Grecs.