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l’un de ses deux frères aînés. Rentré en Portugal après le rachat général des prisonniers, il se retira dans une maison de plaisance dépendante de son majorat de Palma, aux environs de la ville d’Evora, renommée entre toutes pour ses antiquités et les beaux sites qui l’environnent. Ce fut au sein de cette poétique solitude, dans la compagnie de sa fille unique et de son gendre, dom Antonio de Sousa, qu’il composa la plus belle de ses productions, le Naufrage de Sepulveda. Ce poème, qui tient dans la poésie portugaise un des premiers rangs après les Lusiades, fut imprimé et dédié au duc de Bragance, dom Theodosio, après la mort de l’auteur, en 1594, par les soins religieux d’Antonio de Sousa qui trouva cet ouvrage dans un bureau où son beau-père recueillait ce qu’il avait de plus précieux, parmi quelques autres manuscrits dont Barbosa Machado a donné les titres, mais qui n’ont pas été publiés. Le Naufrage de Sepulveda était, en effet, l’œuvre de prédilection de Jeronimo Corte-Real, celle que, par une juste appréciation, il regardait comme étant la plus réellement fille de son génie, et comme devant former un jour son plus beau titre de gloire.

Le triste évènement qui fait le sujet du poème de Corte Réal est, comme le titre l’indique, le naufrage d’un noble portugais, Manoel de Sousa de Sepulveda et de dona Lianor de Sa, son épouse, qui, en 1552, revenant des Indes, après avoir vu leur galion le Saint Jean se perdre contre les rochers du cap de Bonne-Espérance, furent jetés sur la côte et réduits à errer dans les solitudes de la Cafrerie avec leurs deux petits enfans et les gens de leur suite, qui presque tous, succombant à des souffrances inouies, trouvèrent la mort dans ces déserts. Déjà Camoens avait fait une touchante allusion à cette tragique aventure dans quelques octaves admirables du cinquième chant des Lusiades, à la fin des prédictions d’Adamastor :

« Un autre chevalier viendra aussi sur ces plages, généreux, honoré, le cœur épris ; avec lui, il amènera une jeune beauté, doux présent de l’amour. Un triste sort, une noire destinée les appelle dans cette mer, mon domaine. Ils survivront au plus affreux naufrage, mais pour souffrir d’inexprimables douleurs.

« Ils verront mourir leurs enfans chéris, fruits de leur tendre union ; ils verront les Cafres, avares et féroces, dépouiller de ses vêtemens la ravissante beauté ; ils verront ses membres purs et éblouissans exposés nus aux ardeurs du jour et à la fraîcheur des nuits, et elle, hélas ! forcée de fouler de ses pieds délicats une plaine ardente et sablonneuse.

« Les yeux de ceux qui survivront à tant de maux, à de si grandes infortunes, verront ces deux malheureux amans s’enfoncer dans l’épaisseur de l’implacable forêt, et là, dans les bras l’un de l’autre, après avoir attendri