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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/829

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POÉTES ET ROMANCIERS DE LA FRANCE.

écrire aux jeunes gens, même aux jeunes filles, par quelque lettré de régiment. Le fils du marquis de Parny, brillant, aimable, nouveau-venu de Versailles, dut être une bonne fortune pour la société de Saint-Paul ; sa condition lui ouvrait toutes les portes, ses talens lui ménagèrent des familiarités. La jeune personne, l’Héloïse nouvelle auprès de laquelle on l’accrédita imprudemment en qualité de maître de musique amateur, n’avait que de treize à quatorze ans. Le début de cette liaison, telle qu’elle se traduit même en poésie, ne paraît différer en rien de la marche de tant d’autres séductions vulgaires. La surprise des sens a tout l’air d’y devancer celle du cœur. Ce n’est qu’avec le temps que la passion se prononce, se dégage, et, sans jamais s’ennoblir beaucoup, se marque du moins en traits énergiques et brûlans. On a beaucoup discuté sur le vrai nom d’Éléonore ; son nom de baptême était, dit-on, Esther ; quant à son nom de famille, on l’a fait commencer par B, et l’auteur de la notice de l’édition Lefèvre (1827) se borne à dire que la première syllabe de ce nom n’est point BAR, comme on l’avait avancé. Puisque nous en sommes à cette grave et mystérieuse question qui a autant occupé les tendres curiosités d’autrefois que le nom réel d’Elvire a pu nous occuper nous-même nous donnerons aussi notre version, qui diffère des précédentes. Selon nous, et d’après des renseignemens puisés aux sources, Éléonore était Mlle Tr…le, un nom assez peu poétique vraiment. Son père, bien que descendant d’une ancienne famille de l’île, n’avait point à faire valoir de titres de noblesse. Aussi, quand on eut l’éveil, quand les conjectures malicieuses et peut-être aussi, nous assure-t-on, l’état de la jeune personne, amenèrent les parens d’Éléonore à presser le chevalier de Parny de s’expliquer ou de rompre, celui-ci sollicita en vain de son père la permission d’épouser. C’est ainsi qu’il a pu dire en une élégie :

Fuyons ces tristes lieux, maîtresse adorée !…
Non loin de ce rivage une île ignorée…
Là je ne craindrai plus un père inexorable.

Et ailleurs :

Ici je bravai la colère
D’un père indigné contre moi ;
Renonçant à tout sur la terre,
Je jurai de n’être qu’à toi.

L’amant désespéré, contraint sans doute de quitter pour un temps le pays, fit un voyage, soit peut-être dans l’Inde, soit plus probablement