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Qui suis-je par rapport Dieu ? Qu’est-ce que le monde où il m’a placé ? Mais ce ne sont là encore que des questions secondes. Descartes remonte plus haut. Suis-je en effet, et qui me le fait voir évidemment ? Y a-t-il une ame distincte du corps ? Y a-t-il un Dieu, et quelle chose en moi m’en révèle invinciblement l’existence ? Quels sont les rapports entre le monde extérieur et moi ? Sujet d’un intérêt éternel et toujours pressant, le premier, qui s’offre à la pensée sitôt qu’elle est libre de l’autorité, de l’imitation, de l’exemple, et rendue à elle-même ; problème dont tous les esprits ont l’instinct, mais auquel la plupart se dérobent, sous l’empire des choses qui ne souffrent pas de délai : nous naissons avec le devoir de le résoudre ; nous-mêmes que sommes-nous, sinon ce problème ? Quoi de plus près de nous que nous ?

Descartes entreprend de se mettre en paix là-dessus. Il veut connaître par la raison naturelle son existence, celle de Dieu, celle du monde extérieur ; il veut y arriver par sa propre force, sans le témoignage des siècles, sans donner au consentement de l’univers le poids d’une prémisse dans un raisonnement rigoureux ; poussant la difficulté à l’extrême pour rendre la solution plus évidente, et reculant par-delà le doute jusqu’à une sorte de néant de toute croyance, afin de rendre plus invincible celle à laquelle il se fixera.

Cette croyance ne dépend ni du pays, ni du temps, ni des religions établies, ’ni de la forme des sociétés, encore qu’elle pût s’accommoder de toutes ces circonstances. Ce que Descartes veut croire avec certitude, c’est ce qu’aurait cru un païen, c’est ce que croirait en tout pays et en tout temps un homme doué de raison et capable de concevoir un premier principe et d’en tirer des conséquences. Supposez cet homme rebelle par impuissance à la foi de son pays, ou précipite par certains excès de religion vers l’incrédulité absolue ; Descartes veut le retenir sur cet abîme, et l’aider à trouver en lui-même les principes qui le ramèneront à la croyance philosophique, et par elle peut-être à la croyance religieuse. Y a-t-il dans l’histoire de l’intelligence humaine une œuvre plus bienfaisante ? Y a-t-il une tâche plus noble que de rendre l’athéisme et le matérialisme impossibles, sans s’aider de l’autorité, de la tradition, de l’exemple, qui engendrent si souvent le doute par la fatigue que nous causent leurs contradictions ? Quel service rendra Descartes au genre humain, s’il y réussit !

Mais, jusqu’à ce qu’on ait formé sa croyance, il faut adopter une conduite provisoire selon le lieu et le pays où l’on vit, afin d’éviter l’irrésolution et de vivre le plus heureusement qu’il se peut. Descartes