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guère peint dans son poème que les végétaux, les rivières et le soleil de nos climats. Mme de Staël a fait la même remarque et avec plus d’à-propos encore à l’occasion des Lusiades : « . L’imitation des ouvrages classiques, a-t-elle dit dans une notice sur Camoens, nuit à l’originalité des tableaux qu’on s’attend à trouver dans un poème où l’Inde et l’Afrique sont décrites par un poète qui les a lui-même parcourues. Un Portugais devait être moins frappé que nous des beautés de la nature du midi ; mais il y a quelque chose de si merveilleux dans les désordres comme dans les beautés des antiques parties du monde, qu’on en cherche avec avidité les détails, et peut-être Camoens s’est-il trop conformé dans ses descriptions à la théorie reçue des beaux-arts. »

Ce sont, en effet, les sites, les plantes, les animaux, le ciel de l’Europe que Camoens et, après lui Corte Real peignent avec le plus d’habileté et de complaisance. M. Simonde de Sismondi explique cette prédilection, qui diminue, sans doute, un peu l’originalité des Lusiades, par les honorables regrets de l’exil et la pensée de la patrie absente. Pour moi, je crois que, si Camoens et Corte Real décrivent avec plus de succès la nature d’Europe que la nature asiatique ou africaine, c’est que l’un et l’autre sont éminemment des poètes vrais, et qu’ils connaissaient beaucoup mieux l’Europe que l’Inde et l’Afrique. En effet, de ces antiques parties du monde, Corte Real et même Camoens, qui y avait passé ses plus belles années, n’avaient guère habité que les côtes : ils n’avaient que fort peu pénétré dans l’intérieur. Les tableaux, en petit nombre,qu’ils nous offrent de cette puissante et merveilleuse nature, sont frappans de justesse, mais peu développés ; c’est que, comme tous les grands artistes, ils n’ont besoin que d’un trait, d’un mot, pour rendre ce qu’ils veulent peindre. Par malheur, quelquefois ce trait si fin, ce mot si expressif est affaibli par le traducteur ou échappe au lecteur distrait. De là le reproche fondé jusqu’à un certain point, mais trop général, que Mme de Staël adresse à Camoens et la justification un peu subtile qu’a présentée à sa décharge M. de Sismondi.

Camoens et Corte Real ne prodiguent point, il est vrai, la couleur locale ; ils ne l’étalent point à la brosse ; ils ne bariolent point leur style d’expressions étrangères ; on ne trouve en eux rien de ce luxe et de ce charlatanisme de terminologie exotique, que la poésie, et surtout la prose descriptive, ont mis de nos jours, tant à la mode. Quoique très habiles coloristes, Camoens et Corte Real sont, avant tout, des poètes sobres, des peintres de bonne foi. Ils ne décrivent