Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/1035

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou dans ses livres, avec l’enthousiasme d’une grande intelligence passionnée pour le magnifique spectacle de la liberté moderne ? Ce sentiment du pouvoir, qu’il portait si haut dans son cœur, est-il donc satisfait par une situation où le pouvoir semble appartenir au plus patient, et non pas au plus digne ? Mais nous oublions que dans ce moment M. Guizot n’appartient pas officiellement à la politique. Sa santé ne lui permet pas encore de reprendre les affaires. On assure que les nouvelles récentes de Taïti et du Maroc ont réagi sur lui d’une manière sensible. Sa résolution est prise, dit-on, de ne pas reparaître à la chambre des députés pendant cette session. Il compte réserver ses forces pour l’an prochain. En attendant, il assiste tranquillement aux mésaventures de ses collègues ; il juge son ministère en spectateur désintéressé. Pour se distraire, il lit en ce moment les premiers volumes d’une admirable histoire, qu’il appelle, dit-on, un roman, sans doute à cause de l’intérêt puissant qu’il y trouve, et du pinceau merveilleux de l’historien.

Les journaux anglais nous apprennent que les conférences de M. le duc de Broglie avec le docteur Lushington ont abouti à un nouveau traité entre la France et l’Angleterre pour la suppression du trafic des esclaves. Le traité doit être signé maintenant. D’après les versions qui ont couru, le sens des principaux articles serait conforme à ce que nous avons déjà dit sur ce sujet. Le préambule porte que les souverains des deux pays, pensant que les traités de 1831 et 1833 ont produit tout leur effet, désirent passer une autre convention, par suite de laquelle le trafic des esclaves sera réprimé d’une manière plus efficace. Le traité est conclu pour dix ans ; toutefois il peut être révoqué au bout de cinq ans, dans le cas où l’une des deux parties le trouverait insuffisant. La France et l’Angleterre entretiendront chacune vingt-six vaisseaux pour exercer la surveillance sur leurs pavillons respectifs. Ils auront le droit d’arrêter les navires et de visiter les papiers de bord pour vérifier la nationalité. Telles sont les mesures destinées à remplacer le droit de visite réciproque, qui désormais doit être considéré comme aboli. Si les conférences ont obtenu l’heureuse issue que l’on annonce, la France devra ce résultat aux énergiques démonstrations de ses chambres. Le cabinet aura réussi en exécutant une volonté opposée à la sienne.

Une demande de crédit sera, dit-on, prochainement adressée aux chambres pour l’armement des vaisseaux destinés à notre croisière d’Afrique. Les articles du traité seront alors jugés à la tribune. On verra si les charges nouvelles qu’ils imposent à la France sont en rapport avec les mesures qu’exige la répression de la traite sur son pavillon. Les feuilles anglaises ont soin de nous dire que la conclusion rapide du traité est due à la confiance particulière qu’inspire à Londres M. le duc de Broglie. sous savions en effet que tout autre négociateur aurait été refusé. Partisan déclaré du droit de visite, M. le duc de Broglie devait naturellement se montrer exigeant sur les moyens de remplacer efficacement les traités de 1831 et de 1833. C’est pour ce motif