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de Tanger remettait tout en question, et anéantissait le fruit de deux victoires ; qu’Abd-el-Kader ne serait ni interné ni expulsé ; que le règlement des frontières soulèverait des difficultés nouvelles ; que le traité de commerce rencontrerait ailleurs qu’à Fez des obstacles sérieux. A tout cela, le ministre des affaires étrangères répondait par une dénégation pure et simple. Maintenant, les faits ont parlé ; à qui ont-ils donné raison ? Abd-el-Kader est-il interné ou expulsé ? Le règlement des frontières est-il terminé ? Le traité de commerce a-t-il eu lieu ? Il arrive quelquefois dans ce monde que la logique a tort, et que les prévisions les plus raisonnables se trouvent démenties. Pour cette fois, tout s’est passé rigoureusement, exactement, comme la logique le démontrait, et comme l’avait prédit l’opposition.

Pour juger en pleine connaissance de cause le grave incident qui a récemment occupé la chambre, il convient d’attendre que, selon la promesse formelle de M. le ministre des affaires étrangères par intérim, tous les documens officiels, toutes les correspondances aient été communiqués ; mais il est dès à présent un fait acquis et constaté, c’est que six mois après les victoires d’Isly et de Mogador, l’empereur du Maroc a refusé de ratifier un traité fait et signé par ses plénipotentiaires. On dit que c’était son droit. Oui, puisque ce droit nous avons fait la faute immense de le lui rendre ; oui, puisque nous l’avons follement remis en position de traiter d’égal à égal au lieu de se soumettre en vaincu ; oui, puisque nous avons ainsi relevé de nos propres mains une difficulté que le canon de notre armée de terre et de notre flotte avait doublement abattue : mais si, en refusant la ratification, l’empereur du Maroc use de son droit, la France usera du sien en recherchant scrupuleusement, sévèrement, quels sont les auteurs, quelles sont les causes de cette nouvelle humiliation. Les causes, ce sont, je le répète d’après M. de Jarnac, les méfiances, les jalousies qu’excitait à Londres, au mois de septembre 1844, notre expédition du Maroc. Les auteurs, ce sont ceux qui, pour désarmer ces méfiances, ces jalousies, ces colères, se sont hâtés, contre toute prévoyance, de sacrifier, jusqu’au dernier, les avantages que la France avait chèrement payés.

J’arrive à l’affaire qui résume le plus clairement, le plus complètement tous les mérites, tous les avantages de l’entente cordiale, à l’affaire de Taïti.

Il faut remarquer d’abord que l’affaire de Taïti n’est point une de celles dont un cabinet peu loyal ou peu généreux peut rejeter le fardeau sur ses prédécesseurs. L’affaire de Taïti est une affaire toute neuve qui appartient en propre au cabinet actuel, à laquelle seul il a