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mis la main. Ainsi, c’est le cabinet actuel qui, pour couronner son front d’un nouveau laurier, a imaginé d’aller occuper dans l’Océan Pacifique quelques îlots auxquels personne ne songeait. C’est ce cabinet qui, foudroyant du haut de son éloquence tous les doutes, toutes les inquiétudes de l’opposition, s’est vanté d’avoir assuré à la France une riche et facile possession ; c’est ce cabinet enfin qui a choisi les agens qu’il croyait les plus capables de comprendre sa pensée et d’exécuter ses projets. Qu’est-il arrivé pourtant ? Au commencement, il est juste de le reconnaître, l’Angleterre a ri au lieu de se fâcher. « Quand chaque jour, ont dit ses organes les plus accrédités, nous prenons par tout le monde tout ce qui est à notre convenance, nous serions mal venus à disputer à la France la conquête d’un petit potager dans la mer du Sud. Les Marquises et Taïti sont d’ailleurs entre les mains de la France un gage de paix, puisqu’au premier coup de canon nous serions toujours maîtres de les lui enlever. » Voilà comment alors tories, whigs et radicaux jugeaient notre conquête, lord Palmerston seul excepté. Mais un beau jour quelques missionnaires jugent à propos de nous déclarer la guerre, et tout aussitôt, pour complaire à ces missionnaires, il faut d’abord que la France désavoue avec promptitude, avec éclat, un amiral qui n’avait pas voulu humilier le pavillon national. Il faut que la France fasse plus encore, et qu’elle vote une indemnité en faveur de l’homme qui a soulevé les populations contre elle et fait égorger quelques centaines de ses soldats.

Les tristes détails de cette triste affaire sont trop bien connus, trop bien appréciés pour que j’aie besoin d’y revenir ; mais ici, comme dans la question du Maroc, il y a quelque chose de plus grave que l’évènement lui-même, c’est la négociation. J’ai tout lieu de croire qu’on nous a caché la moitié, les trois quarts de la vérité. On nous en a montré pourtant assez pour qu’il soit impossible d’y songer sans que la rougeur monte au front. Comme au sujet du Maroc, et plus encore, on n’a employé pour nous convaincre, pour nous réduire qu’un seul argument, la menace. « Renoncez à la possession de Taïti et faites réparation à M. Pritchard, ou bien nous rappelons notre ambassadeur, nous renvoyons M. Pritchard à Taïti sur un vaisseau de guerre, nous cherchons de nouveaux alliés contre vous, nous vous déclarons la guerre. » Tels sont les termes, les seuls termes dans lesquels la question ait été posée du commencement à la fin. Et à chacune de ces communications, de ces intimations se joint le commentaire obligé : « Il est temps d’en finir, lord Aberdeen se lasse, la dépêche est toute