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moment jusqu’à 1840, la tradition de Pitt et de Fox s’était maintenue presque sans interruption, et la France avait pris l’habitude de considérer les whigs comme ses chauds amis, les tories comme ses ennemis acharnés. En 1830, à la vérité, les tories reconnurent la révolution de juillet, mais par force, de mauvaise grace, avec des craintes que l’évènement justifia, puisque peu de jours après la révolution les avait renversés. Arrivés par cette révolution, les whigs au contraire se montrèrent d’abord pleins de reconnaissance, pleins d’enthousiasme pour elle, et, pendant dix années, on le sait, les tories ne cessèrent de leur en faire un crime.

Tel était l’état des choses en 1840, quand, au mépris de toutes les traditions de parti, au mépris de tous les précédens, les whigs firent ce que les tories n’auraient pas osé faire, et sacrifièrent brusquement l’alliance de la France à l’alliance de la Russie. Pour leur hon-neur, pour l’honneur de leur parti, on voudrait croire qu’ils y furent déterminés par des évènemens graves, par des considérations, sérieuses ; malheureusement il n’en est rien, et plus le temps s’écoule, plus on est forcé de reconnaître qu’ils cédèrent uniquement à de misérables rancunes, à de pauvres ressentimens. C’est dans l’histoire des whigs un triste épisode, et nous avons le droit de le leur dire. Mais veut-on en conclure que, comme en 1792, il s’est opéré entre eux et les tories un échange complet de sentimens et de rôles ? Veut-on en conclure que si nous avons à nous plaindre des uns, nous avons à nous louer des autres, et qu’avec ceux-ci plus qu’avec ceux-là l’alliance est possible ? C’est la thèse que soutient en France le ministère, par instinct et par intérêt, par goût et par calcul. Or, cette thèse est absolument fausse, et il suffira pour le démontrer de quelques faits et de quelques raisonnemens.

On sait quelle était, en 1840, la situation du cabinet whig. Depuis plus d’une aimée, lord Palmerston, irrité contre la France, avait accepté les ouvertures de la Russie, et posé à Saint-Pétersbourg les bases d’une nouvelle alliance. Il est permis de douter que lord John Russell connût tous les desseins de lord Palmerston ; absorbé par les soins chaque jour plus difficiles de la lutte parlementaire, lord. John Russell accordait à son collègue toute confiance et le suivait aveuglément. D’un autre côté, plusieurs membres importans du cabinet, lord Melbourne, lord Lansdowne, lord Holland surtout, refusaient d’abjurer tout à coup l’ancienne politique des whigs, et manifestaient le vif désir de rester fidèles à la France. Outre cette difficulté tout intérieure, il y en avait une autre dont il fallait bien tenir compte.