Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/1092

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
1086
REVUE DES DEUX MONDES.

ces emprunts successifs faits aux ruines antiques qu’il faut en grande partie attribuer le nivellement qui s’est opéré d’âge en âge, et qui tend à aplanir tout-à-fait le sol de Ninive, comme celui de Babylone. Par suite de ces raisons, les recherches de M. Botta à Neïnivèh étaient, depuis un mois, infructueuses et désespérantes, quand, mieux renseigné, et sur l’indication précise d’un autre point de la plaine que lui donna un paysan, il transporta les pioches de ses ouvriers au village de Khorsabad, distant de Mossoul de quatre heures. Ce n’était pas sans inquiétude et sans douter beaucoup de la véracité de son guide que notre consul s’achemina vers ce nouveau but offert à ses investigations, et quoique, pour y arriver, il eût à cheminer sur un sol partout accidenté par des monticules factices, hérissé de débris de briques ou de morceaux de pierres conservant des traces de taille, il n’osait croire au succès de son exploration. Se défiant des connaissances de son conducteur en fait d’art assyrien, il doutait de la valeur de ses renseignemens, et craignait, non sans raison, de n’avoir à déblayer que les restes de quelque masure moderne ou de quelque vieille église avec des ornemens sculptés dans le goût arménien. Combien de fois, en effet, n’est-il pas arrivé à un antiquaire, au milieu de ces populations ignorantes, d’arriver à des déceptions cruelles après avoir, avec une trop confiante espérance, suivi un cicérone arabe ou kurde ? Et pourtant ne faut-il pas que le voyageur étranger ait recours aux gens du pays, s’il veut visiter un lieu qu’il ne trouverait pas seul, ou qu’il mettrait bien du temps à découvrir en marchant au hasard ? Mais comment ne pas douter de l’authenticité des récits des Orientaux ? Pour un musulman, la création date de l’hégire ; pour un chevrier curde ou un chamelier arabe, les années sont des siècles. Bien des fois, en Perse ou en Mésopotamie, on m’a mené au pied d’un vieux mur de mosquée avec autant d’empressement que s’il se fût agi d’une porte de Thèbes, ou bien c’était une pierre ornée de caractères couffiques qu’on me montrait avec autant de complaisance et de satisfaction que si elle eût recouvert les restes de Noé.

Livré à des doutes que paraissait trop bien justifier l’ignorance de ses guides, M. Botta arriva à Khorsabad. C’est un village peuplé de Kurdes demi-sang croisé d’arabe ; il est bâti sur une éminence isolée, au milieu de la plaine qu’elle domine de douze à treize mètres environ. À défaut de tessons de briques et de quelques pierres de taille restés à moitié de la hauteur du talus, l’isolement de ce monticule prouverait suffisamment qu’il est factice. La forme de cette éminence est irrégulière ; cependant on reconnaît quelques angles que le temps, les