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VOYAGE ARCHÉOLOGIQUE À NINIVE.

pluies et le passage des hommes et des troupeaux, n’ont pu entièrement effacer. Sur le plateau légèrement ondulé qui forme le sommet étaient bâties une cinquantaine de maisons d’assez pauvre apparence. Le guide était fier de la confiance qu’il croyait inspirer, et que M. Botta sentait réellement s’affermir en face de cette vaste éminence ; il était fier surtout de pouvoir montrer des objets auxquels les Européens attachent tant de prix, lui qui avait dormi et fumé sa pipe si nonchalamment sur ces trésors. Aussi offrit-il de commencer aussitôt les recherches dans sa propre maison, et, s’il en était besoin, de la mettre à bas ; bien entendu que notre homme espérait un dédommagement, un cadeau ou bakchich.

Après quelques investigations faites au dehors, on se convainquit qu’il fallait en venir à attaquer la pauvre chaumière, puisqu’elle paraissait avoir usurpé la place d’un palais. En soulevant la natte poudreuse qui servait de lit à l’Arabe, on reconnut en effet quelques pierres blanchâtres, arrondies par le frottement, et qui, par l’ensemble de leurs formes, paraissaient avoir été travaillées. Encouragé par ce premier aperçu, M. Botta n’eut pas de peine à conclure l’arrangement avec le paysan, et, pour quelques piastres, il acquit le droit de renverser sa cahutte de fond en comble. Le peu de solidité des matériaux facilita l’opération, et, en quelques instans, il ne resta plus de la chétive cabane qu’un peu de poussière et des roseaux brisés. On conçoit que si les habitations du peuple de Ninive ont été élevées de la même manière, il n’a pas fallu au temps ni aux hommes de grands efforts pour les raser, et cela explique pourquoi, à part quelques monticules qui s’élèvent encore çà et là dans la vaste plaine qui borde le Tigre, en face de Mossoul, on ne rencontre que fort peu de vestiges importans.

Le moment était donc venu de tenter la fortune, d’interroger les entrailles de la terre ; l’heure était solennelle, et la pioche, mise en contact avec cette terre antique, allait se courber comme la branche de coudrier au-dessus de la terre humide qui cache une source. Le terrain fut donc frappé, percé, et sa croûte, durcie par le poids de vingt-cinq siècles qui l’avaient foulée, ne put bientôt plus défendre les parties inférieures, qui, plus molles, furent vite enlevées et creusées profondément. D’abord jaillirent quelques éclats de pierre, ensuite vinrent des morceaux plus gros, puis le fer ne put entamer des blocs plus forts. Quelquefois on les arrachait avec beaucoup de peine, ou bien il fallait les tourner, les isoler, creuser autour, et alors les espérances grandissaient en proportion de la résistance qu’ils opposaient. Un fragment ébranlé se détacha : c’était une tête, une superbe tête,