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« Or, les images de ma fantaisie ardente brûlaient dans mon cerveau, tandis que mes pieds marchaient par la plaine couverte de neige.

« Soudain, je crus voir dans l’ombre un homme vêtu de noir, qui levait pieusement ses bras vers les étoiles brillantes.

« Est-ce un moine à qui il a été ordonné, pour expier ses fautes, d’aller pieds nus dans la neige ? Je m’approchai pour le saluer.

« O mes mauvais yeux ! c’était un saule. Et ses bras ? deux branches. Et l’homme vêtu de noir ? le tronc avec sa noire et dure écorce.

« Un arbre ! un moine ! tous deux ils lèvent hypocritement les bras, mais leurs pieds sont attachés à la terre, à la terre grossière et sombre. »


Le second chant, la seconde légende, est la partie la plus intéressante du recueil. Après ces premiers bégaiemens de sa muse, nous allons savoir ce que veut le jeune poète, à quels principes, à quelles croyances, il a consacré sa plume. Tout à l’heure, dans son entretien avec Schiller, il vantait avec enthousiasme un écrivain, un publiciste célèbre, Louis Boerne. Il disait que l’esprit des figures idéales créées par l’auteur de Don Carlos avait passé dans l’ame des hommes nouveaux ; il voyait dans Louis Boerne un marquis de Posa, un Guillaume Tell, un héros de la pensée moderne. Ces poétiques sympathies, sur lesquelles il faudrait sans doute s’expliquer, mais qui sont parfaitement acceptables dans des strophes enthousiastes, M. Beck va les reprendre d’une manière plus nette et plus décidée : tout ce chant est consacré à l’éminent publiciste.

Ce ne sont pas les idées de Louis Boerne célébrées en vers harmonieux ; ce n’est point une série d’hymnes démocratiques, comme on pourrait le redouter. M. Prutz, M. Herwegh, je le crains, n’eussent pas fait autre chose ; nous aurions eu les feuilles éloquentes du journaliste découpées en strophes sonores. M. Beck est plus hardi et plus fier. Il écrit un drame, et un drame ému, passionné, très bizarre souvent, mais étincelant çà et là de beautés neuves et fortes. Le héros est assis dans sa pauvre chambre de travail, comme Faust dans son laboratoire, comme Manfred dans son château des Alpes. Je n’affirmerai pas que ces images soient tout-à-fait d’accord avec la réalité du sujet, qu’une telle transfiguration poétique convienne bien à la personne de son héros ; mais ce point admis, cette concession faite, le poète nous entraîne, et nous le suivons jusqu’au bout. La première scène est intitulée le chaos. C’est une scène de délire ; en proie au tourment de sa pensée, épuisé par ses longues veilles, par ses espérances déçues, par ses désirs inassouvis, le héros de M. Beck commence par injurier le ciel. La nuit est sombre ; les éclairs brillent ; le tonnerre gronde au