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s’éleva à 10,000 pour une seule île, et cependant la population esclave des colonies anglaises est toujours allée en s’accroissant jusqu’à l’émancipation. En 1819, M. Goulburn reconnaissait avec étonnement qu’en deux ans le nombre des esclaves de la Jamaïque s’était accru de plus de 5,000. Ce fait ne peut s’expliquer que par l’introduction subreptice d’un grand nombre de nègres, et le gouvernement anglais, qui ne s’aveuglait pas à ce sujet, prescrivit l’enregistrement de tous les esclaves, et la constatation, sur les registres des naissances, des décès et des transferts de propriété. Cette mesure fut aussi inefficace que l’abolition de la traite, et c’est là ce qui conduisit le parti religieux à demander l’émancipation pour détruire le mal à sa racine.

Les autres nations, pas plus que l’Angleterre, ne renoncèrent à la traite. En 1812, on estimait de 70 à 80,000 le nombre des nègres exportés annuellement d’Afrique ; ce nombre dut s’accroître à mesure que les Français reprirent l’habitude de la traite : ils ont continué à la faire jusqu’en 1830. Suivant le rapport d’un officier de la station anglaise, il y avait, en septembre 1830, dans la rivière Bonny, cinq négriers français avec 1,622 noirs à bord, et le mois suivant il y avait en chargement à Calabar dix navires français, dont le moindre pouvait embarquer 400 esclaves. Ces deux faits suffiraient à prouver que les Français faisaient la traite sur une assez vaste échelle ; mais il est permis de croire qu’on abusait souvent de notre pavillon ; autrement il serait impossible de comprendre comment, depuis la loi du 4 mars 1831, la traite sous pavillon français a entièrement cessé.

Les Espagnols, dont les colonies manquaient de bras à la fin de la guerre générale, se livrèrent à la traite avec activité ; les traités signés avec l’Angleterre ne purent prévaloir contre la nécessité. Les ordres de la métropole furent méconnus par les autorités coloniales, et il résulte de relevés faits avec toute l’exactitude possible, que de 1823 à 1832, 325 négriers quittèrent le port de la Havane pour la côte d’Afrique ; 236 revinrent avec au moins 100,000 esclaves, 89 périrent ou furent pris. Le Portugal est le gouvernement qui a prêté le plus constant appui à la traite : par le traité de 1814, il avait renoncé à trafiquer au nord de l’équateur ; depuis, il a constamment évité, jusqu’à ces deux dernières années, de prendre vis-à-vis de l’Angleterre aucun engagement, quoiqu’il n’ait plus de colonies à pourvoir, et que la traite ne soit plus pour lui qu’une branche de commerce. Le Brésil a assimilé la traite à la piraterie, mais ses sujets continuent le trafic sous le pavillon du Portugal, que la connivence des autorités de ce pays en Afrique permet de prendre avec une déplorable facilité ;